Être, tellement

Dans un village de pêcheurs du Nordeste brésilien, Antoine Delacourt attend Everton qui le guidera dans le Sertão, une région de l'intérieur du pays. Rescapé d'un tremblement de terre en Asie, Antoine ne se défait pas des morts, de leurs regards... Une fin d'après-midi, il aperçoit une femme sur la dune, côté mer de la maison. Louise Fabre n'a pas rejoint son fils et son mari à São Paulo. Simple fugue ? Rupture ? Quant à Everton Dos Santos, il espère de ce travail de guide qu'il sauve sa famille de la faim. A priori, rien ne relie ces trois personnages qui se retrouveront, à bord d'un pick-up, à traverser une terre vouée à la malédiction des sécheresses.
Dans Être, tellement, se révèlent des deuils inattendus, le mystère amoureux, mais aussi la mémoire tragique du Sertão. Un roman qui libère, dans un même souffle littéraire, le difficile mouvement vers l'Autre et la renaissance des êtres à eux-mêmes.

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Être, tellement

Dans un village de pêcheurs du Nordeste brésilien, Antoine Delacourt attend Everton qui le guidera dans le Sertão, une région de l'intérieur du pays. Rescapé d'un tremblement de terre en Asie, Antoine ne se défait pas des morts, de leurs regards... Une fin d'après-midi, il aperçoit une femme sur la dune, côté mer de la maison. Louise Fabre n'a pas rejoint son fils et son mari à São Paulo. Simple fugue ? Rupture ? Quant à Everton Dos Santos, il espère de ce travail de guide qu'il sauve sa famille de la faim. A priori, rien ne relie ces trois personnages qui se retrouveront, à bord d'un pick-up, à traverser une terre vouée à la malédiction des sécheresses.
Dans Être, tellement, se révèlent des deuils inattendus, le mystère amoureux, mais aussi la mémoire tragique du Sertão. Un roman qui libère, dans un même souffle littéraire, le difficile mouvement vers l'Autre et la renaissance des êtres à eux-mêmes.

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Être, tellement

Être, tellement

by Jean-Luc Marty
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Overview

Dans un village de pêcheurs du Nordeste brésilien, Antoine Delacourt attend Everton qui le guidera dans le Sertão, une région de l'intérieur du pays. Rescapé d'un tremblement de terre en Asie, Antoine ne se défait pas des morts, de leurs regards... Une fin d'après-midi, il aperçoit une femme sur la dune, côté mer de la maison. Louise Fabre n'a pas rejoint son fils et son mari à São Paulo. Simple fugue ? Rupture ? Quant à Everton Dos Santos, il espère de ce travail de guide qu'il sauve sa famille de la faim. A priori, rien ne relie ces trois personnages qui se retrouveront, à bord d'un pick-up, à traverser une terre vouée à la malédiction des sécheresses.
Dans Être, tellement, se révèlent des deuils inattendus, le mystère amoureux, mais aussi la mémoire tragique du Sertão. Un roman qui libère, dans un même souffle littéraire, le difficile mouvement vers l'Autre et la renaissance des êtres à eux-mêmes.


Product Details

ISBN-13: 9782260030546
Publisher: Groupe Robert Laffont
Publication date: 08/17/2017
Sold by: EDITIS - EBKS
Format: eBook
Pages: 194
File size: 573 KB
Language: French

About the Author

Géo de 1993 à 2010. Il est également romancier. Passionné de musique et de mer, il se définit comme un homme de " l'ailleurs ". Depuis La Dépression des Açores (2001), Rumba (2008), Un cœur portuaire (2012), La Mer à courir (2014), et Être, tellement (2017), tous parus aux éditions Julliard, Jean-Luc Marty écrit le mouvement des hommes, l'inquiétude de ce début de siècle, la difficile rencontre de l'histoire et de la géographie.

Read an Excerpt

CHAPTER 1

Une lumière de fin d'après-midi bleuit le jardin. Le verre d'eau pour sa prise de médicaments – les derniers avant ceux du coucher – est posé sur la pierre encore chaude, à côté du fauteuil aux accoudoirs larges. Antoine Delacourt sent le bois épais sous ses mains, rassurant.

De la terrasse en léger surplomb, il ajuste mal son regard à tout ce qui l'entoure.

Il attend.

Il sait par où elle va arriver.

À l'extrémité du terrain, derrière l'ultime rangée d'arbres à cajou, il y a la dune, très haute. C'est par là qu'elle a surgi la veille pour descendre vers la plantation, donnant l'impression d'avoir assimilé qu'entre elle et lui il y avait tous ces arbres, et qu'à passer trop vite il pourrait la rater, ce qu'avait démenti son pas lent, son maintien un peu raide dans un environnement où rien ne l'emporte vraiment du sable, de l'herbe, ou d'une matière plus proche de la poussière que de la terre. À tout cela il faudrait ajouter la chaleur dont le vent seul parvient à chasser le désagrément. Antoine Delacourt ne sait pas d'où il souffle. On l'a conduit, il y a seulement deux jours, dans ce village brésilien, quelque part sur le rivage du Nordeste.

Il en revient à l'idée que l'inconnue se promène ainsi, toujours à la même heure, passant d'un bord de mer venté à l'atmosphère apaisée de la plantation qu'elle se contente de longer au bas de la dune.

Les arbres à cajou démarrent à quelques mètres de la terrasse. Dans les ombres, on aperçoit les racines tournées vers le ciel comme si elles craignaient de meurtrir le sol si léger et gris, laissant aux feuillages le soin de se reproduire jusqu'au bas de la dune. Les cajoueros buissonnent dans tous les sens, les branches s'étendent très loin de leur axe central. Sous le poids, certaines se sont enfoncées dans la terre pour refaire tronc à leur tour. La plantation, jadis ordonnée en rangées, ressemble à une forêt livrée à elle-même, qu'aucune taille ne maîtrise plus.

Hier, il a suivi des yeux la jeune femme d'arbre en arbre, craignant qu'elle ne reparte d'où elle était venue. Il l'a trouvée grande et puis il n'en a plus été certain, fine, ça oui, il en était certain, et européenne d'allure. Un bref instant, il a imaginé qu'elle se tournait vers la terrasse, élégante dans ses vêtements amples et clairs, lui laissant le temps d'inventer son visage, la couleur de ses cheveux (pour quelle raison hésitait-il entre le roux et l'auburn?) et d'imaginer sa voix, les inflexions de sa voix ... Antoine Delacourt aurait pu donner signe de vie, se lever du fauteuil, retenir son attention d'un banal signe de la tête, s'enhardir et se diriger vers elle, après tout, elle pouvait s'être perdue, vouloir un renseignement. Plus simplement, il aurait pu décider de la héler: Hé ! Vous cherchez quelqu'un? Mais, à la réflexion, ça n'aurait rimé à rien ; elle ne s'amuserait pas à traîner si elle cherchait quelqu'un, à faire les cent pas entre la dune et la plantation.

L'inutilité l'a emporté car ses mots ne suivraient pas. Il n'a plus les moyens de penser une telle rencontre, ce qu'elle supposait d'abnégation pour trouver les phrases justes, sans plus d'imagination que n'en demandait le moment. Il s'est contenté de la distance entre eux, d'un silence qui valait confidence. Il s'y est fondu, laissant l'éclat l'envahir.

Les cachets l'ont soulagé, la migraine a diminué.

Des bruits de voix arrivent, portés par le vent – le soir, il peut se lever brusquement. Ils proviennent du quartier où donne l'entrée principale de la maison, une porte en fer forgé avec des motifs alambiqués, rouillé faute d'entretien.

Sa chambre est de ce bord-là. En ouvrant le battant de bois qui tient lieu de fenêtre, il a la rua do baixo sous les yeux. Dans ce coin du village, rien ne sépare les habitations, chacun vit au bord de chacun et on devine les pièces minuscules. Les seuls ornements visibles sont les hamacs soigneusement roulés en boule pour la journée et les filets de pêche accrochés au mur, pareils à de grands pans de tulle. Les hommes le saluent d'un signe de tête, ou pas du tout, comme s'il n'y avait aucune raison de le faire exister à ce moment-là, plus tard peut-être. Se demandent-ils ce qu'un gringo – surnom donné à qui n'est pas brésilien – fabrique dans cette maison où plus personne n'entre ni ne sort depuis des années? Leurs visages sont passés par toutes les races: indienne, européenne, africaine. Parfois l'une a davantage résisté. Ils raccommodent des filets dont l'étendue vaut frontière d'un périmètre à l'intérieur duquel nul ne pénètre, hormis les chiens. Debout derrière le tissu ajouré, ils réparent les mailles grâce à un outil qu'Antoine Delacourt n'identifie pas vraiment, de même le geste de tirer le fil de nylon d'un point de couture invisible.

Ce sont eux qu'il entend très tôt le matin lorsqu'ils remontent l'eau du puits à quelques mètres de sa chambre et que démarrent les premières conversations de la journée.

Il n'a pas été habitué à une telle promiscuité.

Dans les hôtels internationaux où il descendait par le passé, l'air climatisé, les murs épais, la moquette, le double vitrage, tout était conçu pour étouffer l'extérieur, les odeurs et les bruits du dehors. Il avait vécu une dizaine d'années dans des chambres – sorte d'habitat mondialisé –, avec l'illusion, s'il n'ouvrait pas les doubles rideaux, que la rue était identique à celle qui l'avait précédée.

En quittant la plantation, hier, l'inconnue a eu du mal à rejoindre le haut de la dune. Il a remarqué qu'elle était pieds nus, ses sandales à la main, ou bien était-ce des espadrilles ou ces tongs qu'ils portent tous dans le village. Il a vu ses efforts pour progresser, vaguement de travers, ses hanches céder lorsqu'elle perdait ses appuis. Elle s'est servie plusieurs fois de sa main pour reprendre l'équilibre.

Comment a-t-on pu laisser le sable avancer à ce point dans la propriété? Aucune protection n'entrave le flot étonnamment clair qui atteint les premiers arbres à cajou et l'on aperçoit le sommet du suivant qui menace de tout défaire, à l'image des dunes que le vent du désert redéfinit sans cesse.

Une fois en haut elle a paru reprendre son souffle. Il a repéré par où elle a disparu. C'est le même endroit qu'il ne lâche pas des yeux ce soir avec le fol espoir qu'elle se montre, qu'elle abandonne sa mystérieuse silhouette au paysage, qu'il entretienne ainsi son rêve car ne plus la rêver la lui enlèverait à coup sûr.

Des hommes remontent du rivage, des sacs plastique à la main. Le terrain offre de couper au plus court vers le village et personne n'a l'air de se priver de l'aubaine. Où que l'on regarde, la propriété est livrée à elle-même. Il a découvert la grande piscine vide, la crasse autour des puiseurs d'eau, les carreaux aux motifs d'azulejos, cassés ou ébréchés, les tas de feuilles mortes au fond, les branches, et bien d'autres choses. Autour de ce qui reste du teck, l'herbe est jaune, un jaune mort que le soleil n'accroche plus et les fruits de cajou pourrissent au sol.

L'inconnue avait pris l'initiative de s'imposer à lui. Il en est maintenant certain: qu'elle ait pu marcher de cette manière, d'un arbre à l'autre, témoignait de l'intérêt qu'elle avait eu à se trouver là, à aller et venir sous ses yeux, car elle ne pouvait pas ne pas l'avoir remarqué. Il en a été impressionné et, en même temps, affaibli, dans l'incapacité de faire face.

Aujourd'hui c'est différent, il pourrait accepter qu'il se passe quelque chose.

L'heure est celle où le décalage horaire se fait sentir. Et les anxiolytiques qu'il avale en début de nuit produisent leurs premiers effets. Les visions reviennent souvent dans son sommeil, il n'arrive pas à les chasser. La banlieue de Dacca, l'usine près du fleuve, les centaines de mains bangladaises confectionnant les vêtements de sport ou de loisir pour l'autre monde, puis les mêmes mains qui ne sont plus rattachées à aucun corps, qui flottent.

Il y a six mois, Antoine Delacourt est encore ingénieur en informatique et travaille pour des sociétés basées à l'étranger. Il séjourne dans la capitale du Bangladesh, en mission pour une gigantesque entreprise de sous-traitance spécialisée dans le textile au profit de marques étrangères. Les responsables souhaitent étendre l'interconnexion de leurs services à l'ensemble de leurs clients européens et américains. Lorsqu'a lieu le tremblement de terre, une secousse violente de magnitude 7 sur l'échelle de Richter, il projette dans la grande salle de réunion du rez-de-chaussée les PowerPoint du nouvel organigramme. Ce sera le seul niveau épargné par le séisme. L'immeuble de huit étages qui abrite les ateliers s'effondre. Au total, plus d'un millier de morts.

Antoine Delacourt et les cadres bangladais qui assistent à cette rencontre sont les seuls à s'en sortir indemnes.

Ce sont surtout les regards qui réapparaissent dans ses nuits, leur fulgurance. On dirait qu'ils le contemplent lui, vivant, hurlant certes, d'effroi, ou d'un sentiment bien pire, mais vivant – et qu'il dévisse de ce qui lui reste de raison à ne pas comprendre comment les yeux qui fusent des murs de l'usine semblent ne lui en vouloir de rien, surtout de ne pas bouger, de ne pas courir les tirer de là, qu'il n'a été, en quelque sorte, qu'un intérimaire dans cette tragédie, un homme de passage, qui la regarde. Une sorte de nouvel étranger, celui que la mort n'atteint pas.

Dans l'arbre le plus proche de la maison, il y a deux cordes nouées à la même branche, épissures défaites, la nacelle de la balançoire a disparu. Il s'amuse à imaginer l'enfant. Ce serait une petite fille, bien sûr. C'est toujours une petite fille dès qu'il s'agit de balançoire. Sa mère serait là, qui lui dirait d'arrêter. Mais la corde approcherait dangereusement de l'horizontale, frôlerait les premièresfeuilles foncées et têtues. L'enfant n'en aurait cure, il n'y a aucun danger là-haut. Le père serait à l'intérieur de la maison. Sa voix autoritaire viendrait à la rescousse de la mère.

Antoine Delacourt se sent perdu dans la demeure si grande, si hors du temps. Il ne sait comment faire avec le long corridor qui la traverse, les tapis fins, les eaux froides de la salle de bains et de la cuisine, les pièces fermées de part et d'autre, les vides cadenassés. Ce silence derrière chaque porte qu'il interroge depuis son arrivée.

Il attrape au bas du fauteuil le portable qu'Everton a équipé d'une puce locale.

Le Brésilien qui sera son guide dans le Sertão est venu le chercher à l'aéroport. Everton Dos Santos parle le français avec un accent du Sud. Il avait séjourné un an et demi non loin de Toulon dans le cadre d'un échange entre les marines brésilienne et française. L'homme a évoqué les milliers de kilomètres qu'ils vont faire à l'intérieur du pays. Il lui a montré sur une carte les endroits à visiter.

Il a promis d'appeler dès que le Chevrolet sera prêt. Le pick-up est au garage pour une révision générale. Le véhicule est loin d'être neuf, il leur évitera de se faire prendre pour des touristes.

Il n'y a pas de message d'Everton sur le portable.

Le ciel laisse des taches claires dans les arbres, la lune est déjà là.

L'inconnue ne viendra plus.

Il n'aura rien vu ni su d'elle.

Antoine rentre le fauteuil à l'abri de la véranda, comme s'il craignait que le temps ne change.

Herica a préparé un gâteau au tapioca qu'elle a laissé sur la table de la cuisine. Elle l'a saupoudré avec de la noix de coco râpée qui relève d'un ton sucré l'anonymat de la gomme de manioc.

Herica peut avoir quarante, ou cinquante ans. Elle ressemble aux Indiennes de la Cordillère des Andes que l'on voit sur les photos des magazines de voyage. Un visage qui a dû porter tôt son âge d'aujourd'hui, à cause du soleil, du vent.

Elle garde les clés de la maison et s'occupe de la maintenir propre. Sur la gauche du terrain, les cajoueros sauvages et une végétation indistincte forment une frontière touffue. Antoine Delacourt imagine Herica sortir de la forêt, chaque matin.

Sur la dernière étagère, au-dessus du meuble de la cuisine, il y a une rangée de bouteilles d'alcool. Il monte sur une chaise, en attrape une. Elle est vide, elles sont toutes vides.

CHAPTER 2

Louise Fabre a trouvé l'homme qui loue les chevaux derrière l'église d'Ubatuba do Norte, au moment où il rentrait chez lui, la tête couverte d'un chapeau noir retenu par un fin lacet noué sous le menton. Il lui a souri, un sourire sans âge, ou bien ce serait un âge magnifique. Des crochets couleur d'or baguaient ses dents. Il portait un filet à l'épaule – ses deux bêtes étaient loin de le faire vivre. Ils étaient plusieurs à pêcher au large de la falaise, à marée haute, le corps enfilé dans une simple bouée en liège comme s'il se fut agi de la plus minuscule embarcation qui puisse exister. On les perdait facilement de vue dans la houle qui était forte à cet endroit. De temps en temps une main sortait de l'eau, tirait le filet vers le haut, sans doute pour le garder le plus possible déployé et que les poissons se prennent facilement au piège des mailles. Durant des heures, ils restaient dans les vagues énormes, souvent réduits à une simple tête que l'on voyait émerger d'une crête à l'autre. Sur le rivage, ils cachaient une bouteille d'eau ou d'aguardiente cet alcool des rues – entre deux roches, pour la protéger du soleil, aussi les fruits qu'ils pelaient d'un geste net et précis. En rentrant par le chemin de la côte, ils passaient non loin de la maison de Margaret Wilson.

Louise Fabre séjourne là, invitée par son amie. Elle est arrivée de São Paulo où ils sont installés depuis peu avec son mari. Adrien Fabre est un homme d'affaires missionné par le Quai d'Orsay à la prospection du marché brésilien.

Les deux femmes ne se sont pas vues durant plusieurs années. Elles se connaissent depuis le conservatoire de musique de Paris. Margaret enseignait le piano. Louise avait été son élève. Malgré leur différence d'âge, elles s'appréciaient et se voyaient en dehors de l'établissement. Au moment de prendre sa retraite, Margaret a choisi de quitter la France et de vivre sur ce rivage du Nordeste brésilien découvert lors d'un voyage organisé.

Elles sont restées en contact. Depuis l'installation de Louise à São Paulo, elles ont échangé quelques mails, se sont donné des nouvelles.

Les pêcheurs saluent d'un signe de tête la femme d'un âge avancé, installée loin du village, à l'extrême point de la baie. Tout le monde est au courant dans le village que Margaret est d'origine anglaise.

Elle a dit à Louise que, dans ce paysage, elle ne vit jamais deux fois la même journée, ni la même heure. Nulle lumière ne se répète, nul ciel. Il n'y a que le vent à être constant dans ses habitudes, en octobre il arrache tout sur son passage. Les rochers, quand l'Atlantique se retire, lui rappellent les plages de Cornouailles où, adolescente, elle passait ses vacances. À marée haute, l'océan ramène les tons sourds et turquoise, plus oppressants, d'une mer équatoriale. Chaque instant, ou saison, apporte son lot d'images, de surprises. Les bêtes errantes, pendant les mois de pluies, viennent brouter l'herbe poussée sur les dunes. On remarque leurs ombres alignées au cordeau sur une élévation de terrain, comme échappée des nuages, et lorsqu'elles descendent par les sables rouges en direction du phare, on devine enfin s'il s'agit de chevaux ou d'ânes. Parfois les chevaux vont sur les rochers et on craint qu'ils ne s'esquintent les pattes car l'érosion les rend aussi tranchants que des lames. Les bœufs, eux, s'en tiennent plus paisiblement aux chemins, aux taillis qui durent le temps d'une saison.

Margaret Wilson a demandé à Louise si elle connaissait la poésie chinoise. Elle a dit: Il n'y aurait que les poètes chinois pour arriver à saisir un tel monde, un tel dépouillement du monde.

Louise en était restée aux chevaux sauvages.

Margaret a dit qu'il en existait des dressés, que l'on pouvait en louer dans le village.

Tant bien que mal elle survit au galop. Ses espadrilles glissent régulièrement des étriers, lui ôtent ses appuis. Elle peine à tenir la jument dont la tête osseuse se débat dans le vent, tire violemment sur le mors. Louise tente de la garder au plus près de la dune, loin du ressac. Le cheval craint l'eau, le bruit de l'eau. Le propriétaire vient tout juste de l'acheter à l'intérieur des terres où les animaux sont puissants, solides, beaucoup plus grands que ceux de la côte. Louise regrette de n'avoir pas choisi l'autre, le vieux qui ne doit se débattre que contre les mouches.

Il y a l'appréhension de la chute, et il y a les évènements des jours précédents qui reviennent. Elle avait compté sur le cheval pour faire diversion, l'éloigner du désordre intérieur qu'elle a d'elle-même provoqué.

(Continues…)



Excerpted from "Être, Tellement"
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