Si j'avais su que tu deviendrais si belle, je ne t'aurais jamais laissée partir

" Souviens-toi : ne rêve pas ta vie, vis tes rêves. "
Depuis sa rue de Comanche Street, à Long Island, Katie Hanson fait partie de cette jeunesse qui regarde de loin le rêve américain. Alors qu'en 1972 commence son dix-huitième été, que les soirées rallongent, que les rues et la plage s'animent, elle a le sentiment que sa vie reste en suspens. Ses pensées sont ailleurs, tournées vers sa mère qui l'a abandonnée, et vers Luke qu'elle aime secrètement et qui revient, transformé, de deux ans au Vietnam.
Entre les confidences de ses meilleures amies et les soirées au bar de l'hôtel Starlight où le jukebox entonne les classiques de l'époque, il y a pourtant de quoi la divertir. Mitch, vétéran à la jambe de bois qui noie son traumatisme dans l'alcool, y a élu domicile. Tous deux se lient d'amitié. Sous la chaleur écrasante et moite, le temps semble suspendu et propice à la réflexion sur la route à prendre, sur ceux qui nous entourent et que l'on va quitter.
Avec toute sa fragilité et sa fantaisie, Katie porte à bout de bras ce roman poétique et émouvant qui évoque ces vieux Polaroïd aux couleurs défraîchies que l'on regarde avec nostalgie et tendresse.

1125869726
Si j'avais su que tu deviendrais si belle, je ne t'aurais jamais laissée partir

" Souviens-toi : ne rêve pas ta vie, vis tes rêves. "
Depuis sa rue de Comanche Street, à Long Island, Katie Hanson fait partie de cette jeunesse qui regarde de loin le rêve américain. Alors qu'en 1972 commence son dix-huitième été, que les soirées rallongent, que les rues et la plage s'animent, elle a le sentiment que sa vie reste en suspens. Ses pensées sont ailleurs, tournées vers sa mère qui l'a abandonnée, et vers Luke qu'elle aime secrètement et qui revient, transformé, de deux ans au Vietnam.
Entre les confidences de ses meilleures amies et les soirées au bar de l'hôtel Starlight où le jukebox entonne les classiques de l'époque, il y a pourtant de quoi la divertir. Mitch, vétéran à la jambe de bois qui noie son traumatisme dans l'alcool, y a élu domicile. Tous deux se lient d'amitié. Sous la chaleur écrasante et moite, le temps semble suspendu et propice à la réflexion sur la route à prendre, sur ceux qui nous entourent et que l'on va quitter.
Avec toute sa fragilité et sa fantaisie, Katie porte à bout de bras ce roman poétique et émouvant qui évoque ces vieux Polaroïd aux couleurs défraîchies que l'on regarde avec nostalgie et tendresse.

11.99 In Stock
Si j'avais su que tu deviendrais si belle, je ne t'aurais jamais laissée partir

Si j'avais su que tu deviendrais si belle, je ne t'aurais jamais laissée partir

Si j'avais su que tu deviendrais si belle, je ne t'aurais jamais laissée partir

Si j'avais su que tu deviendrais si belle, je ne t'aurais jamais laissée partir

eBook

$11.99 

Available on Compatible NOOK devices, the free NOOK App and in My Digital Library.
WANT A NOOK?  Explore Now

Related collections and offers


Overview

" Souviens-toi : ne rêve pas ta vie, vis tes rêves. "
Depuis sa rue de Comanche Street, à Long Island, Katie Hanson fait partie de cette jeunesse qui regarde de loin le rêve américain. Alors qu'en 1972 commence son dix-huitième été, que les soirées rallongent, que les rues et la plage s'animent, elle a le sentiment que sa vie reste en suspens. Ses pensées sont ailleurs, tournées vers sa mère qui l'a abandonnée, et vers Luke qu'elle aime secrètement et qui revient, transformé, de deux ans au Vietnam.
Entre les confidences de ses meilleures amies et les soirées au bar de l'hôtel Starlight où le jukebox entonne les classiques de l'époque, il y a pourtant de quoi la divertir. Mitch, vétéran à la jambe de bois qui noie son traumatisme dans l'alcool, y a élu domicile. Tous deux se lient d'amitié. Sous la chaleur écrasante et moite, le temps semble suspendu et propice à la réflexion sur la route à prendre, sur ceux qui nous entourent et que l'on va quitter.
Avec toute sa fragilité et sa fantaisie, Katie porte à bout de bras ce roman poétique et émouvant qui évoque ces vieux Polaroïd aux couleurs défraîchies que l'on regarde avec nostalgie et tendresse.


Product Details

ISBN-13: 9782841119349
Publisher: Groupe Robert Laffont
Publication date: 03/16/2017
Sold by: EDITIS - EBKS
Format: eBook
Pages: 271
File size: 2 MB
Language: French

About the Author

Granta et collabore souvent avec The New York Times et Newsday, entre autres. Dramaturge, ses pièces sont jouées à New York et elle est très impliquée dans la scène théâtrale new-yorkaise. Si j'avais su que tu deviendrais si belle, je ne t'aurais jamais laissée partir est son premier roman. Elle vit à Brooklyn.

Read an Excerpt

Si J'Avais Su Que Tu Deviendrais Si Belle, Je Ne T'Aurais Jamais Laissee Partir


By Judy Chicurel

NiL Éditions

Copyright © 2014 Judy Chicurel
All rights reserved.
ISBN: 978-2-84111-934-9


CHAPTER 1

Vent d'été


«Et qu'elle me fait, "Jeune homme, votre commerce est un repaire de détraqués". Alors je lui dis, "Vrai, m'dame, vrai. Des détraqués, j'en ai devant ma porte, j'en ai dans ma boutique, j'en ai même sur le toit".»

Dans le cendrier que nous partagions, Desi fit tomber une colonne de cendres. Le bout de son cigare luisait de salive. Il le cala au coin de ses lèvres avant de poursuivre:

«Qu'est-ce que vous vouliez que je fasse? Que je discute? Que je la dézingue? 'Tain, y en a qui feraient mieux de balayer devant leur porte avant de venir faire des commentaires ici. Comme disent les Italiens: "Quand tu craches en l'air, ça te retombe sur le nez."

— Tu m'expliqueras ce que ça veut dire, répondis-je.

— Ça veut dire ce que ça veut dire, lança Mitch depuis l'autre extrémité du comptoir. Personne ne vaut mieux que son voisin. Tu piges?»

Il avait coincé un pack de Pabst Blue Ribbon sous son bras au tatouage arc-en-ciel et sortait une Camel sans filtre du paquet qu'il venait d'acheter. Du bout de sa canne, il donna deux coups sur le comptoir, me lança un clin d'œil et s'en alla en boitant. Mitch vivait à l'autre bout de Comanche Street, dans une chambre de l'hôtel Starlight qui donnait sur la mer et sentait les algues et le moisi. C'était le troisième pack de la journée qu'il achetait chez Eddy; il était obligé de faire des allers-retours comme il ne pouvait en porter qu'un à la fois. Le mois touchait à sa fin, et sa pension d'invalidité aussi; c'était pour cette raison qu'il achetait des bières au lieu de jouer le pilier de bar à l'hôtel, dans le coin près du jukebox.

Desi secoua la tête en essuyant le comptoir.

«L'aut' Pat Hibulaire est bien placé pour dire ça, marmonna-t-il alors que la porte se refermait derrière Mitch.

— L'appelle pas comme ça, dis-je. Je croyais que tu l'aimais bien. Je croyais que vous étiez amis.»

Mais je m'étais peut-être trompée. Un début de panique s'empara de moi à cette idée.

«Hé, hé, j'ai dit ça? J'ai dit que je l'aimais pas? Je l'adore», répondit Desi. Il essora sa lavette avant de la rincer. «Sauf que c'est pas le seul à s'être sacrifié pour son pays. Perdre une jambe, c'est pas une raison pour arrêter de vivre, que je sache. Une moitié de jambe, qui plus est.

— Mon Dieu, Desi ...

— "Mon Dieu" quoi? On est où, à l'église? Et toi, t'es qui, sa mère? Qu'il lui reste une moitié ou que dalle, il a pas besoin de toi pour le défendre.» Il secoua la tête. «Vous, les gamins, vous croyez tout savoir.

— Sûrement pas», protestai-je d'un air las.

En fait, la plupart du temps, j'avais l'impression de ne rien savoir du tout.

«Toi, d'accord, répondit-il en longeant le comptoir pour aller encaisser le Daily News de Mr Meaney. T'es différente, toi, des autres gosses du coin. Et si tu veux un conseil: tire-toi d'ici. Maintenant. Et vite.»

Mon ventre se crispa. Heureusement, il n'y avait personne pour l'entendre; Mr Meaney ne comptait pas. Depuis trois ans que je vivais à Comanche Street, j'avais parfois encore l'impression de voir défiler ma vie comme un film dans lequel jouaient toutes les personnes que je connaissais au monde, sauf moi. Même au milieu d'un millier de gens, cette impression me tenaillait: au lycée, à la plage ou au comptoir, chez Eddy.

Desi était le propriétaire de chez Eddy, le tabac-presse à l'angle de Comanche Street et de Lighthouse Avenue, dans le quartier d'Elephant Beach qu'on appelait «la Trompe». Le vrai Eddy, lui, coulait sa retraite en Floride, depuis bien longtemps. Mais Desi avait toujours refusé de changer le nom. «Croyez-moi, ça vaudrait pas le dérangement, qu'il disait. Combien de temps il a passé ici, lui? Vingt-cinq ans? À quoi ça servirait de débourser du pognon pour changer l'enseigne et refaire la vitrine? Cette boutique, ce sera toujours "chez Eddy" pour les gens.»

Et il avait raison.

Au mois de février, en regardant par la fenêtre les trottoirs bordés de givre et le ciel d'un gris d'acier pendant un cours de sciences nat' ou d'histoire, je me mettais toujours à penser à l' egg cream au chocolat de chez Eddy. Et tout d'un coup, l'été ne me semblait plus si loin. En me concentrant suffisamment, je parvenais même à sentir le crémeux du sirop de chocolat sur mon palais. L'envie alors me dévorait d'être assise là, au comptoir, avec mon egg cream, la clope au bec sous le vieux ventilateur pendu au plafond qui brassait toujours le même air pendant que les autres traînaient dehors près des portemagazines, à l'affût d'une patrouille de flics, ou étaient assis sur les poubelles alignées derrière le bâtiment, là où monte l'odeur du bitume fondu quand le thermomètre se met à grimper. De temps en temps, la porte de service s'ouvrait et Angie, la femme de Desi, faisait déguerpir tout le monde. «Regardez-moi ça, disait-elle, toujours à traîner, qu'est-ce que vos mères diraient si elles vous voyaient assis sur les poubelles au beau milieu de la journée?» Et Billy Mackey ou un autre de répondre: «Elle dirait: "Tu te crois chez Eddy ou quoi?"» Tout le monde éclatait de rire, et Angie se mettait à courser le petit malin avec son balai, parfois jusqu'au bout de la rue, jusqu'au bord de l'eau.

Eddy n'était ouvert qu'en été, du Memorial Day au Labor Day, ou jusqu'à la fin du mois de septembre si le temps le permettait. Desi, Angie et leurs enfants, Gina et Vinny, avaient quitté le Queens pour venir s'installer à Elephant Beach. Ils vivaient dans les chambres au-dessus de la boutique, celles avec un petit bout de vue sur l'océan. Le dimanche, quand Vinny ou Angie tenait la caisse, Desi allait planter son parasol sur la plage de Comanche Street, un parasol vert-blanc-rouge («le drapeau italien»). Puis, avec ses énormes lunettes de soleil, son bob blanc, son short de bain à pois qui ressemblait à un caleçon et les tennis blanches qu'il portait depuis qu'il s'était blessé sur un débris de coquillage et avait dû être recousu, il s'étendait sur une chaise longue. Allongé comme un roi, cigare au bec, il montait le son de sa radio portative chaque fois que passait une chanson de Sinatra. L'un d'entre nous essayait-il de lui parler, même pour dire simplement bonjour, qu'il lançait: «Passe ton chemin. Je suis ici incognito.»

«Je vais te dire quel est le problème avec vous, les jeunes», me disait-il à présent, alors qu'il revenait vers moi pour récupérer mon verre et me préparer un nouvel egg cream.

Il envoya un jet d'eau de Seltz puis de sirop de chocolat et remua énergiquement le tout avant de faire glisser le verre à travers le comptoir, jusqu'à moi. J'y trempai les lèvres. Parfait.

«Le problème avec vous, tous autant que vous êtes, c'est que vous savez pas la boucler. Vous croyez quoi, hein? Que je m'appelle Helen Keller? Que je vois rien, que j'entends rien de ce qui se passe de l'autre côté de ce bar? Ça cause de sexe, drogue et rock'n'roll du matin au soir. Enfin, de sexe, surtout. Et le pire, c'est que c'est même plus réservé aux bonshommes, tout ça.» Sous l'effet de la stupéfaction, sa voix descendit d'une octave. «Les filles, qu'elles s'y mettent aussi. Les filles. "Et que Trucmuche est en cloque, et que Machine a vu l'avorteuse", attends, je suis obligé d'entendre ça, moi? Regarde l'autre pauv' petite, celle qui s'est retrouvée enceinte alors qu'elle n'avait même pas fini le lycée, qu'on la voyait se dandiner ici comme une cane qui va pondre. Y a plus de respect pour rien, plus de respect pour rien. Et après, les gens s'étonnent.» Desi secoua la tête. «Crois-moi, ça baisait autant à l'époque où on était jeunes, ta mère et moi. Sauf que nous, on en parlait pas, on le faisait.»

Nos deux regards se levèrent quand la porte de la boutique valsa et claqua tout aussi brusquement. Desi haussa les épaules.

«Fausse alerte», lâcha-t-il.

Il ouvrit le congélateur à glaces, laissant s'échapper des volutes de froid, et commença à servir des boules dans une coupe à sundae: vanille, café, menthe-chocolat, avant de napper le tout d'une couche de sauce au cacao parsemée de marshmallows, et de terminer, pour faire léger, par une bonne dose de Reddi-wip. Puis il sortit une cuillère et se mit à piocher machinalement dans sa coupe. Angie rageait de le voir se gaver sans jamais prendre un gramme. Ellemême disait grossir rien qu'en regardant les plats. Desi aimait ajouter qu'elle faisait bien plus que regarder, mais seulement quand elle ne pouvait pas l'entendre.

En jetant un coup d'œil à l'horloge Coca-Cola accrochée derrière le comptoir, je me demandai où tous les autres étaient passés. J'avais quitté mon boulot à l'A&P à quinze heures en pensant traîner sur Comanche Street jusqu'à l'heure du dîner. C'était une de ces journées du début de l'été couverte et brumeuse et personne ne se trouvait à sa place habituelle. Les autres avaient dû aller chez quelqu'un, Billy, probablement, qui avait un sous-sol, ou bien chez Nanny. L'idée de les appeler me traversa, mais la saveur de l' egg cream, le ventilateur qui tournait au-dessus de ma tête et l'éternelle gloutonnerie de Desi étaient trop rassurants. J'avais pourtant peur de rater quelque chose, comme toujours. Nous étions tous pareils. C'était d'ailleurs pour ça que tout le monde expédiait ses repas en famille, sortait en douce par la fenêtre de sa chambre, promenait le chien trois heures durant et devait travailler de prétendus exposés à la bibliothèque jusqu'à sa fermeture, à neuf heures du soir.

Mais vu mon état d'esprit du moment, il n'y avait pas grand-chose que je pouvais avoir peur de rater, à part Luke. J'espérais le voir entrer pour acheter des cigarettes ou le dernier numéro de son magazine de surf. Ou autre chose, n'importe quoi. Je ne l'avais revu qu'une fois depuis son retour du Vietnam, le dimanche d'avant, ici même, chez Eddy. Mais j'avais été prise de court; je n'avais pas lavé mes cheveux et je n'étais pas encore bronzée. Je m'étais alors cachée à l'intérieur d'une des cabines téléphoniques en attendant qu'il s'en aille. J'observais Luke McCallister depuis l'été qui avait précédé mon entrée en première. Je l'observais, planquée au coin d'une rue, par la vitre d'une voiture ou au cinéma, une fille à ses côtés, le bras autour de son épaule, et moi fixant ce bras au lieu de regarder le film, avec une folle envie de le tronçonner. Je me rassurais en me disant que ce n'était qu'un flirt à sens unique, que si Luke avait vraiment été intéressé, c'est son bras à lui qui se serait retrouvé autour de la fille, et non l'inverse. Luke avait trois ans de plus que nous, son monde s'étendait au-delà de Comanche Street, du bar de l'hôtel Starlight et de tous les lieux que nous avions coutume de fréquenter. Mais j'avais fêté mes dix-huit ans et quasiment achevé mes années de lycée, j'étais prête à entrer dans la vraie vie. C'était l'été; tout était possible à présent.

«Du mystère», lâcha Desi, et je tressaillis à l'idée qu'il ait pu lire dans mes pensées.

C'était ça: Luke était un plus grand mystère encore qu'avant son départ dans la jungle, voilà deux ans. Levant les yeux vers Desi, je le vis qui raclait les dernières traces de sauce aux marshmallows dans sa coupe à sundae. Il pointa le manche de sa cuillère sur moi.

«Sans un brin de mystère, on n'est rien.»

Je finis mon egg cream à la paille pour le garder plus longtemps. Puis j'allumai une cigarette.

«Je n'ai toujours pas compris où tu voulais en venir, disje. Et c'est toi qui parles de mystère!»

Desi poussa un soupir. Il emporta sa coupe à sundae jusqu'à l'évier et, une fois rincée, la laissa sur l'égouttoir. De retour devant moi, il posa ses mains à plat sur le comptoir et planta son regard sur moi, sévèrement.

«Où je veux en venir? commença-t-il. Je vais te dire: imagine qu'une fille se radine ici; elle porte un joli corsage, pourquoi pas un peu transparent, ou sans soutien-gorge en dessous, j'en sais rien. Quand je la regarde, ça m'excite, je commence à me faire des idées. Mais à l'inverse, suppose qu'une fille se radine ici sans rien, avec les lolos qui ballotent au-dessus du bar. Voilà, fini: ça me refroidit aussi sec. Pourquoi? Parce qu'il ne me reste plus rien. Plus rien pour nourrir mon imagination. Alors, quand je te dis qu'il faut du mystère, tu vois de quoi je parle?

— C'est ça, bien sûr, dis-je en levant les yeux au ciel. Tu veux me faire croire que si une nana débarquait ici les seins à l'air et grimpait sur le zinc, tu resterais de marbre?»

Mais je voyais bien que Desi ne m'écoutait plus. Il était appuyé là avec son petit sourire rêveur.

«Qu'est-ce qu'il y a? finis-je par lui demander.

— Rien, dit-il après un silence. Je pensais seulement ... » Il ramassa son cigare dans le cendrier et ralluma ce qu'il en restait. «Je repensais à une fille. Une fille que j'ai connue à Howard Beach. Avant Angie. Elle portait toujours un cardigan bleu ciel.» Il tira longuement sur son cigare. «Avec de tout petits boutons nacrés qui montaient jusqu'au col.» Des cendres rouges tombèrent en pluie sur le bar. «Tous ces boutons», souffla Desi en regardant à travers la fumée comme s'il observait quelqu'un qui venait vers lui.

Il reposa son cigare dans le cendrier et poussa un nouveau soupir. Sa lavette à la main, il essuya les cendres mortes sur le comptoir.

« Ah, vous les jeunes, conclut-il. Vous croyez avoir tout inventé. Tout! La moindre petite chose. Vous croyez avoir inventé la vie.»

CHAPTER 2

Des bébés


Tout le monde attendait que Maggie Mayhew donne naissance à son bébé. On aurait dit que sa grossesse durait depuis une éternité; lorsqu'elle avait traversé l'allée de l'église St Timothy, l'hiver précédent, son ventre ressortait déjà sous sa robe de grand-mère impression cachemire qui lui servait de robe de mariée. Le grand bouquet de lys qu'elle serrait contre sa poitrine avait laissé sur le corset des taches indélébiles couleur rouille. La date de l'accouchement était maintenant dépassée, et les gros joints que Matty, son mari, avait roulés et mis de côté en attendant de pouvoir laisser tomber le cigare, avaient été fumés depuis bien longtemps.

«Qu'est-ce que t'es grosse! Ça veut dire que c'est un garçon?», lui demanda Nanny.

Nous nous étions arrêtées chez Maggie sur le chemin de la plage. Maggie était sa cousine, âgée de quelques années de plus que nous; elle avait déjà un travail, secrétaire dans une agence de publicité sur Madison Avenue à Manhattan.

Maggie sourit.

«Quel cliché, répondit-elle tranquillement. Les filles aussi, ça peut être grand. Et faire de grandes choses. Elle sera comme ça, ma fille à moi.»

Elle caressa son ventre qui ondulait de vie sous son ample corsage.

«Si les filles sont capables de si grandes choses, faudrait lui demander pourquoi elle reste chez elle les bras croisés pendant que Matty sort tous les soirs avec les gars», dit Liz un peu plus tard, alors que nous remontions la rue où était garée la Buick Skylark que son père lui avait offerte comme cadeau de fin d'études. C'était le mois de juin, et partout sur Comanche Street, les volets des maisons se rouvraient avec l'arrivée des familles qui quittaient Manhattan le temps de l'été. « Moi, je supporterais pas tout ce cirque.

— Il l'aime vraiment, pourtant, répondit Nanny. Tu les aurais vus au mariage: à la seconde où le prêtre avait fini, Matty l'a attrapée et lui a collé un de ces baisers, aussi puissant qu'un tremblement de terre. Il voulait plus la lâcher.

— À votre avis, l'accouchement à domicile, c'était son idée ou celle de Matty? demanda Liz. Moi, j'ai l'impression que c'était la sienne, à lui. J'ai l'impression qu'elle fait tout ce qu'il dit.»

Maggie et Matty vivaient dans une maison de plain-pied au bout de Comanche Street, avec les frères de Maggie, Raven et Cha-Cha. La nuit, on voyait Matty et Raven partir se défoncer à la plage avant d'aller faire la tournée des bars. Ils marchaient dans le froid des derniers jours de printemps avec leurs vieux blousons en jean, la tête rentrée dans les épaules, pendant que Maggie restait assise sur les marches décrépites de son perron, les mains sur son ventre naissant.

«Vous auriez entendu Tante Francie, l'autre jour! fit Nanny. Elle a débarqué chez nous pour pousser son coup de gueule. "Ils doivent aller à l'hôpital, on est au XX siècle, bordel!", qu'elle criait, mais Maggie lui a tenu tête pour une fois. Elle lui a dit: "M'an, ce bébé, c'est le mien. Et je vais l'avoir comme je l'ai décidé, bon sang!" Je n'arrive pas à savoir si elle est super courageuse ou simplement cinglée.»

Liz et moi avions grandi à Elephant Beach, mais Nanny et ses cousins étaient des gens de la ville, de Washington Heights, là-bas au bout de Manhattan. Leurs parents étaient partis pour les préserver des gangs, de la drogue et autres mauvaises influences, mais les gosses avaient ramené tout ça avec eux.


(Continues...)

Excerpted from Si J'Avais Su Que Tu Deviendrais Si Belle, Je Ne T'Aurais Jamais Laissee Partir by Judy Chicurel. Copyright © 2014 Judy Chicurel. Excerpted by permission of NiL Éditions.
All rights reserved. No part of this excerpt may be reproduced or reprinted without permission in writing from the publisher.
Excerpts are provided by Dial-A-Book Inc. solely for the personal use of visitors to this web site.

From the B&N Reads Blog

Customer Reviews