Pourquoi je n'ai pas écrit de film sur Sitting Bull

Pourquoi je n'ai pas écrit de film sur Sitting Bull

by Claire Barré
Pourquoi je n'ai pas écrit de film sur Sitting Bull

Pourquoi je n'ai pas écrit de film sur Sitting Bull

by Claire Barré

eBook

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Overview

" Je pars pour le Dakota du Sud. Direction Amsterdam, puis Minneapolis, où un troisième avion m'emmènera à Rapid City, ville située aux pieds des Black Hills, en plein territoire indien. Là-bas, une voiture de location m'attend. Je vais conduire jusqu'à la petite ville de Deadwood, pour y rejoindre l'hôtel que j'ai réservé en ligne, il y a quelques mois. L'établissement s'appelle le Mineral Palace Hotel & Gaming et possède son propre casino. Alors que l'avion décolle, mon esprit continue à s'interroger, à revenir en boucle sur tous les curieux événements qui m'ont poussée à entreprendre ce voyage. "
Quand Sitting Bull apparaît mystérieusement dans sa cuisine, Claire, scénariste parisienne et mère de deux enfants, cherche à décrypter le sens de cette vision... Sa quête la conduit d'abord chez une chamane russe, puis auprès d'Ernie LaPointe, l'arrière-petit- fils du célèbre chef indien.
Ce périple insolite en terre sioux permet à Claire Barré de nous raconter, non sans humour, sa découverte du chamanisme et nous offre une plongée dans les coulisses de la création littéraire et de ses imprévisibles sources d'inspiration.


Product Details

ISBN-13: 9782221203576
Publisher: Groupe Robert Laffont
Publication date: 08/17/2017
Sold by: EDITIS - EBKS
Format: eBook
Pages: 186
File size: 1 MB
Language: French

About the Author

Ceci est mon sexe (Hugo, 2014), Baudelaire, le diable et moi (2015), Phrères (2016), et Pourquoi je n'ai pas écrit de film sur Sitting-Bull (2017), tous publiés aux Éditions Robert Laffont.

Read an Excerpt

CHAPTER 1

Je pars pour le Dakota du Sud.

Direction Amsterdam, puis Minneapolis, où un troisième avion m'emmènera à Rapid City, ville située aux pieds des Black Hills, en plein territoire indien.

Là-bas, une voiture de location m'attend.

Je vais conduire jusqu'à la petite ville de Deadwood, pour y rejoindre l'hôtel que j'ai réservé en ligne, il y a quelques mois. L'établissement s'appelle le Mineral Palace Hotel & Gaming et possède son propre casino.

Alors que l'avion décolle, mon esprit continue à s'interroger, à revenir en boucle sur tous les curieux événements qui m'ont poussée à entreprendre ce voyage.

CHAPTER 2

Quatorze mois plus tôt, il m'est arrivé une chose étrange.

L'adjectif est sans doute un peu faible.

Ma vie est sortie de son axe, comme une funambule qui aurait décidé de faire un pas de côté. Sans prévenir, ni envoyer de signaux annonciateurs de métamorphose, elle a quitté les rails de la raison. Me déposant au cœur d'un paysage inconnu.

Sans boussole.

À la merci des tempêtes et des aurores boréales.

Un samedi midi, je déjeunais tranquillement en famille, quand un visage d'Indien m'apparut.

L'apparition en elle-même n'est pas évidente à décrire. Une fine paroi transparente, courbée comme la rétine d'un œil, se plaça subitement entre le monde et moi, et sur cette paroi était imprimé le visage d'un chef indien. En transparence. Car derrière lui, ou plutôt à travers lui, je voyais encore le mur de la cuisine, les objets posés sur la table.

Un peu comme si des phosphènes s'étaient rassemblés, pour former une image claire, nette, présente: le visage d'un Indien au regard intense qui me contemplait en silence.

Il n'était pas exactement en face de moi.

Juste un peu à côté.

Sur la gauche.

Quand je fixais l'horizon, je percevais sa présence, comme un papillon épinglé à la périphérie de mon champ de vision, mais quand je tournais le regard vers lui, je plongeais dans ses prunelles.

J'avais la nette impression qu'il avait quelque chose à me dire. À me transmettre, peut-être.

Il m'observait. Imperturbable.

Insistant, mais pas menaçant.

Plus surprise qu'effrayée, j'annonçai la chose à E. et à nos enfants.

«C'est bizarre, mais je vois un chef indien.»

Cette phrase commença par les faire rire, je crois, ce qui semble assez normal. Aucunement offensée par cette réaction, je délaissai mon assiette de spaghettis et me plantai devant l'ordinateur du salon, pour chercher «chef indien» sur Google Images, dans l'espoir, sans doute un peu fou, d'identifier cette ombre surgie des limbes.

Le choc fut grand, car j'ai immédiatement reconnu mon Indien dans les photos apparues sur l'écran.

En cliquant sur l'image, j'ai même découvert l'identité de celui qui flottait toujours à la gauche de mon regard: Sitting Bull.

Je connaissais ce nom, bien sûr, mais n'aurais su l'associer à un visage précis.

Je fis part de ma découverte à mes proches: «C'est Sitting Bull. Celui que je vois. Sitting Bull.»

E. m'a rejointe au salon. Il est resté derrière moi, alors que je parcourais, avide, la page Wikipédia du célèbre chef indien, cherchant à déceler, entre les lignes, les raisons de sa présence fantomatique.

E. a dû me dire quelque chose comme: «Qu'est-ce que tu racontes?» Et j'ai sans doute dû lui répéter la même information, aussi invraisemblable fût-elle: «Je vois Sitting Bull. Il est là.»

Montrant le vide, un peu à gauche: «Là.»

Mes enfants vinrent à leur tour. Se demandant si c'était un jeu. Mais ils comprirent vite que je ne plaisantais pas. Sans aller, peut-être, jusqu'à croire en la réalité de cette vision (mais peut-on parler de réalité quand il s'agit d'images surgies des mondes invisibles?), ma famille se rendit compte que j'étais sincèrement persuadée qu'elle était là. Devant moi.

S'en inquiétèrent-ils? C'est probable. Mais ils ne le laissèrent pas paraître. Se résolvant, probablement pour dédramatiser la situation, à mettre cette lubie sur le dos de mon imagination trop vive. De ma sensibilité un poil exacerbée, je l'admets.

Je passai mon samedi après-midi sur Internet à lire des témoignages sur Sitting Bull, à regarder des documentaires sur sa vie, puis, par extension, à m'abreuver jusqu'à la nausée de l'histoire des Amérindiens, grâce aux synapses étoilées de la Toile virtuelle.

De temps en temps, mes enfants passaient dans le salon: «Toujours tes Indiens?» Et je hochais la tête, sans pouvoir, pour autant, quitter des yeux l'écran où défilaient ces mots, ces images que je cherchais à décrypter, sans comprendre exactement ce que j'y cherchais.

Une clé. Un début de réponse.

(Mais quelle était la question qui m'avait été posée?)

Au cours de ces explorations, une phrase, attribuée à Sitting Bull, entra en résonance avec moi, sans que je puisse expliquer tout à fait pourquoi.

Cette phrase disait (en parlant du Grand Esprit, ou Grand Mystère): Each man is good in His Sight. It is not necessary for Eagles to be Crows. Ce qu'on pourrait traduire ainsi: «Chaque homme est bon dans Son Regard. Il n'est pas nécessaire que les Aigles soient des Corbeaux.»

Ces mots firent resurgir deux instants de mon passé, gravés dans ma mémoire.

À neuf ans, je vivais aux États-Unis. Nous avions fait un road trip en famille lors des vacances d'été, et un aigle royal avait fendu le ciel au-dessus de ma tête, quelque part en terre indienne, justement.

Cette vision m'avait bouleversée. Je croyais me souvenir – mais peut-être mélangeais-je plusieurs événements survenus dans des déserts américains – que, peu après cette apparition, des flots de sang s'étaient mis à couler de mon nez. Chose qui m'arrivait fréquemment quand je prenais trop le soleil.

Dans mon esprit, quoi qu'il en soit, tout paraissait lié, comme une étoile à trois branches: l'apparition de l'aigle, l'émotion qui me submergeait – qui aurait presque pu me faire perdre connaissance –, puis mes petites mains recueillant le sang chaud qui s'écoulait, les emplissait, comme pour sceller la beauté de cette rencontre essentielle.

Des années plus tard – j'avais, je crois, dix-neuf ans –, je passai deux mois à Moscou, ville dans laquelle je faisais un stage pour parfaire ma connaissance du russe.

En rentrant du bureau, en fin d'après-midi, alors que j'empruntais un immense pont, non loin des murs du Kremlin, un corbeau me précéda durant toute la traversée. Reculant de quelques coups d'aile chaque fois que je m'avançais et me dévisageant tout au long du chemin.

C'est sur ce pont, dans un état curieux, proche d'une forme de transe, fascinée par ce corbeau qui semblait tout à la fois m'attendre et me fuir, que je m'aperçus que je connaissais par cœur, sans jamais l'avoir appris, un poème de Roger Gilbert-Lecomte, «Je veux être confondu ... ou la Halte du prophète».

Vous vous trompez je ne suis pas celui qui monte Je suis l'autre toujours celui qu'on n'attend pas Ma face sous le masque rouge gloire et honte Tourne au vent que je veux pour seul guide à mes pas

Les vers se déversaient un à un dans mon cœur, alors que je parcourais cet interminable pont – déserté des hommes et habité par cet étrange oiseau.

J'assumerai l'immobilité des statues Sous la colère de l'orage aux gestes tors Qui rompt au sol vos fronts ruines abattues Mais me laisse debout n'ayant raison ni tort

À mesure que les mots de Lecomte me revenaient, mes larmes coulaient et des sanglots essoraient mon ventre.

Qu'espérez-vous de moi seul droit dans la tourmente Terriblement absent roide et froid sans sommeil Pour parler aux vieux morts il faut trouver la fente Par où filtre un rayon noir de l'autre soleil

J'avais l'impression d'être le poème. Il habitait chacune de mes cellules, me pétrissait de son antique douleur. La mélancolie qui me transperçait était telle que je craignais de ne pouvoir survivre à ce périple. Si mon corps n'avait pas été si lourd – lesté par une force inconnue –, j'aurais presque pu sauter du pont, pour en finir, pour ne plus avoir à supporter la souffrance métaphysique que les vers infusaient dans les fibres de mon être.

La phrase de Sitting Bull me remémora ces deux instants de vie. Deux rencontres inoubliables avec un aigle et un corbeau.

Il n'est pas nécessaire que les Aigles soient des Corbeaux.

Qu'étais-je, moi? Aigle ou corbeau? Difficile à dire. Ces oiseaux reflétaient peut-être des parts différentes de ma personnalité. Représentaient deux aspects de ma présence au monde.

Cette phrase du chef indien me hantait, lancinante, et je postai, sur le mur Facebook de Trixie-Rose, l'héroïne de mon premier roman qui allait paraître quelques mois plus tard, un dessin trouvé sur le Net, sur lequel figurait cette citation, représentant Sitting Bull, entouré d'un corbeau et d'un aigle.

Une espèce de pudeur m'interdisait de le mettre sur mon propre mur, de peur que tout le monde comprenne que quelque chose ne tournait pas rond.

Cela dit, je ne pouvais pas rester silencieuse. Un besoin brutal, viscéral, me poussait à exprimer un peu de ce mystère qui m'obsédait, dont je ne savais que faire, mais qu'il me fallait partager, fût-ce avec des moyens codifiés.

Je fis également un photomontage que je mis en photo de profil, sur lequel on me voyait, visage remplacé par un engrenage d'horlogerie, entourée de vers de Roger Gilbert-Lecomte, tirés de son poème «Nuit morte d'Alexandrie».

Où chantaient les parfums, râle un goût de poussière;
Une porte s'était bien ouverte, oui ... Mais où menait-elle?

Un rien apaisée par ces actes – rituels magiques compréhensibles de moi seule –, je repris mes lectures.

Versai des larmes amères en me plongeant dans l'historique du génocide efficace dont les Amérindiens ont été les victimes, dans le sud comme dans le nord des Amériques.

Génocide d'autant plus terrible, peut-être, qu'il n'a jamais été reconnu comme tel.

Christophe Colomb et les conquistadors ne sont-ils pas encore présentés, dans nos livres d'histoire, comme de courageux explorateurs ayant «découvert» de nouveaux continents?

Aurait-on oublié de nous préciser que la conquête de l'Ouest – héroïsée dans les westerns de mon enfance – avait été bâtie sur des charniers?

Massacres, promesses non tenues, trahisons.

Couvertures distribuées dans les premières réserves, portant dans leurs fibres le virus de la variole. On jouait les généreux pour mieux tuer en douce.

J'appris que Hitler se serait inspiré de la manière dont les Américains avaient scientifiquement éradiqué les Natifs pour construire son propre programme de destruction massive. En l'améliorant, en quelque sorte.

Découvris l'inhumanité des internats dans lesquels on emprisonnait les enfants, dès la fin du XIX siècle, pour les couper de leur culture et les forcer à ingurgiter l'American way of life, assené par des hommes blancs, violents, crucifix cloués à la main. Et par des femmes blanches, intransigeantes ou charitables, Bible greffée à la place du cœur.

Un lavage de cerveau en bonne et due forme, avec obligation d'oublier sa langue natale (sous les coups, s'il le fallait), ses croyances ancestrales et de détruire tout lien avec les racines profondes de son peuple.

Ethnocide impeccable.

Et, au passage, on leur distillait une bonne louchée de honte, pour qu'ils se sentent à jamais inférieurs. Marqués par le sceau de l'infamie.

Des Peaux-Rouges. De sales Peaux-Rouges. Ignorants. Barbares. Sauvages. Primitifs. Incapables de penser par eux-mêmes. À rééduquer d'urgence. Une lie de l'humanité à parquer dans des réserves. Et à noyer sous un flot de whisky, histoire qu'ils ne retrouvent pas la mémoire. Qu'ils oublient que cette terre était à eux.

Même si, cette terre, ils ne la considéraient pas leur, justement. Au contraire. Ils n'y plantaient pas de barrière pour délimiter des territoires, estimant que tous, hommes, animaux, végétaux, nous appartenions à cette étendue fertile: notre mère nourricière.

Les blancs débarquent. Le canon! Il faut se soumettre au baptême, s'habiller, travailler.

Et alors que je pleurais sur toutes ces tragédies, Sitting Bull continuait à m'observer.

Impassible.

Je lui lançais quelquefois des coups d'œil pleins de compassion, tout en me demandant ce que je pouvais bien faire pour lui ...

Moi, frêle, blanche, de la lignée des agresseurs, moi, si peu intéressée par ce qui ne touche pas à l'art, née dans une France bourgeoise, tranquille, élevée loin des guerres dans un confort absolu d'esprit et de corps. Que me voulait-il? Qu'attendait-il de moi, cet homme resurgi du passé?

Le soir, au dîner, dans un état d'esprit fébrile, j'essayai de raconter à ma famille ce que j'avais appris de Sitting Bull, chef indien et holy man d'origine lakota. (Nous les nommons «Sioux», mot qui vient de serpent et qui reflète le regard que les Blancs posaient sur eux. Ce sont des «Lakotas».)

Né dans le Dakota du Sud, Sitting Bull, homme de paix à l'intelligence vive, prit part aux guerres indiennes, refusant de se soumettre à l'autorité du gouvernement américain qui, sous couvert de traités, volait, peu à peu, toutes les terres des Indiens, et particulièrement leurs terrains de chasse, gages de leur survie.

Réfugié avec son peuple dans les Black Hills, vaste territoire montagneux s'étendant sur plusieurs États qui, d'après le traité de Fort Laramie signé en 1868, devait appartenir exclusivement aux tribus lakotas et cheyennes, Sitting Bull vit les Américains envahir les lieux, alors qu'une ruée vers l'or attirait des hordes d'hommes sans foi ni loi sur les terres sacrées des Indiens.

Hautement charismatique, Sitting Bull parvint à rassembler plusieurs tribus ennemies dans une sorte de coalition et, en 1876, il inspira, grâce à un rêve prophétique, la stratégie de la bataille de Little Big Horn, au cours de laquelle les Américains furent battus, et le lieutenant-colonel Custer, tué.

Custer, à la tête du 7e régiment de cavalerie, avait été envoyé dans le Dakota du Sud pour surveiller la bonne avancée d'un nouveau chemin de fer, que les investisseurs de Wall Street craignaient de voir détruit par les tribus indiennes, hostiles au passage du train sur les terres qui leur avaient été promises. Custer devait aussi «pacifier» par les armes les tensions grandissantes entre colons et Natifs. Grande figure de la guerre de Sécession, sa mort à la bataille de Little Big Horn fut un choc énorme. Même si Sitting Bull n'était pas sur le terrain et n'a fait qu'inspirer la bataille, il fut dès lors considéré comme le «tueur de Custer».

Recherché par le gouvernement, qui voyait en lui un dangereux agitateur, Sitting Bull s'exila au Canada. Là-bas il se lia d'amitié avec le major James Walsh, chef de la police montée canadienne. Leur relation était vue d'un mauvais œil par les autorités américaines, qui souhaitaient arrêter le chef lakota, et, rapidement, Walsh fut transféré dans une autre région.

Sans appui, au cœur d'un hiver rude dont les bisons étaient absents, Sitting Bull et sa tribu revinrent aux États-Unis, pour ne pas mourir de froid et de faim.

Le chef lakota fut alors emprisonné pendant deux ans, puis envoyé à Standing Rock, une réserve du Dakota du Nord.

Plus tard, il a été embauché dans le Wild West Show de Buffalo Bill, sorte de parodie à paillettes des guerres indiennes, y jouant son propre rôle, celui du «tueur de Custer». Le public se déplaçait en masse pour le voir, et Sitting Bull signait des autographes à ceux qui l'avaient chassé de ses terres et qui le considéraient à présent comme une espèce d'attraction de foire.

(Continues…)



Excerpted from "Pourquoi Je N'ai Pas Écrit De Film Sur Sitting Bull"
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