La désertion
« Le premier jour d’absence il était descendu à l’heure du déjeuner pour l’attendre dans le parc, caché derrière l’arbre d’où il observait la sortie de ses subordonnés. Il avait ensuite vérifié les registres de la badgeuse. Aucune trace d’elle. » Un jour, Eva Silber disparaît volontairement. Pourquoi a-telle abandonné son métier, ses amis, son compagnon, sans aucune explication ? Tandis que, tour à tour, ses proches se souviennent, le fait divers glisse vers un récit inquiétant, un roman-enquête imprévisible à la recherche de la disparue.
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La désertion
« Le premier jour d’absence il était descendu à l’heure du déjeuner pour l’attendre dans le parc, caché derrière l’arbre d’où il observait la sortie de ses subordonnés. Il avait ensuite vérifié les registres de la badgeuse. Aucune trace d’elle. » Un jour, Eva Silber disparaît volontairement. Pourquoi a-telle abandonné son métier, ses amis, son compagnon, sans aucune explication ? Tandis que, tour à tour, ses proches se souviennent, le fait divers glisse vers un récit inquiétant, un roman-enquête imprévisible à la recherche de la disparue.
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La désertion

La désertion

by Emmanuelle Lambert
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Overview

« Le premier jour d’absence il était descendu à l’heure du déjeuner pour l’attendre dans le parc, caché derrière l’arbre d’où il observait la sortie de ses subordonnés. Il avait ensuite vérifié les registres de la badgeuse. Aucune trace d’elle. » Un jour, Eva Silber disparaît volontairement. Pourquoi a-telle abandonné son métier, ses amis, son compagnon, sans aucune explication ? Tandis que, tour à tour, ses proches se souviennent, le fait divers glisse vers un récit inquiétant, un roman-enquête imprévisible à la recherche de la disparue.

Product Details

ISBN-13: 9782234084728
Publisher: Stock
Publication date: 01/17/2018
Series: La Bleue
Sold by: Hachette Digital, Inc.
Format: eBook
File size: 306 KB
Language: French

About the Author

Emmanuelle Lambert est l’autrice de romans et d'essais, parmis lesquels Giono, furioso (Stock, 2019 ; prix Femina essai), Le Garçon de mon père (Stock, 2021) et Sidonie Gabrielle Colette (Gallimard, 2022).

Read an Excerpt

CHAPTER 1

Toute organisation humaine appelle une verticalité.

Toute association de personnes étant faite de leurs humeurs, de leurs incohérences, de leurs hauts et de leurs bas et de leur vanité et surtout, la plaie des plaies, de leur opinion, toutes ces personnes, lorsqu'elles sont réunies dans un but productif, ont besoin d'instances supérieures, rationnelles, décisionnaires, pour donner forme et nécessité à leur agrégat.

Il le croyait, il le savait.

Et quand bien même ces fonctions d'encadrement sont remplies par des êtres de chair, avec leur psychologie et leurs sentiments – avec leurs limites –, elles sont nécessairement inhumaines. Ou plutôt, non humaines. Ou encore, hors humaines.

Chaque matin, face au miroir, il se disait: « J'incarne l'ordre nécessaire à nos missions », avec une variante: « La mission est belle, elle est noble. » Et tous les matins, il se rêvait l'incarnant toujours plus, toujours moins humain, dissous dans l'idée de lui-même jusqu'à la disparition finale de son être réel.

Il le savait, cela lui convenait. Sans ordre, pas de société, pas de progrès, pas de réalisations ; une bouillie dépourvue de destination ; une purée de chaos. Cela lui convenait, même, cela lui plaisait. Il était un Cavalier luttant contre l'Apocalypse de la confusion.

Il exultait à l'idée de bientôt se fondre dans le tout d'une vie (par vie, entendez la vie à la grande échelle, la vie sur terre et non ce qu'il tenait pour ses irruptions aléatoires, les êtres humains) dont les mouvements seraient tous prévisibles et donc, encadrés – par des gens comme lui, des fantassins de la raison. Croyant sans Église, il se savait répondre à une autorité supérieure lui conférant une puissance secrète. Sa fonction était sacrée. Sans lui, pas d'ordre. Pas d'organisation. Ceux qui l'avaient recruté ignoraient la part mystique de son être ; lui, avait des renseignements sur tous.

Le soir, chez lui, il s'enfermait dans son bureau et sortait une pile de pochettes d'un tiroir fermé à clé. Chacune portait le nom d'un salarié. À l'intérieur, les informations avaient été écrites à la main, sur de grandes feuilles à carreaux. Il était soucieux d'éviter tout archivage numérique qui aurait pu le dévoiler et, le dévoilant, le compromettre.

Il glanait les renseignements dans la journée. Il écoutait leurs conversations téléphoniques l'air distrait, en fouillant dans des papiers ou en faisant semblant de chercher dans les bases de données. Il laissait traîner son attention jusqu'à entendre la note dissonante, celle de l'erreur ou de la maladresse qu'il décrivait dans des mails adressés à la direction sur le ton de la plaisanterie plus que de la délation ; elle en accusait réception sans commentaire, c'était toujours bon à prendre.

Tous les soirs, après dîner, il s'enfermait pour reporter les observations du jour, transférer photos et enregistrements depuis son téléphone sur un ordinateur portable qu'il n'avait jamais connecté à internet. Valérie ne posait pas de questions. Tous les soirs, il écrivait à son bureau et la petite lampe à capot vert, comme il en avait vu dans les bibliothèques, éclairait les dossiers. À mesure que le jour faiblissait, son halo les faisait luire d'une lumière presque surnaturelle.

Aujourd'hui il avait su qu'il ne fallait pas la chercher. Cela faisait plus d'un an qu'il l'avait recrutée. Ces trois dernières semaines, elle n'était plus venue. Elle ne reviendrait pas.

Le premier jour d'absence il était descendu à l'heure du déjeuner pour l'attendre dans le parc, caché derrière l'arbre d'où il observait la sortie de ses subordonnés. Il avait ensuite vérifié les registres de la badgeuse. Aucune trace d'elle.

Le soir même il avait écrit la date du 8 septembre 2010 sur l'une des feuilles du dossier secret d'Eva Silber. Il avait ensuite rassemblé les renseignements la concernant en commençant par l'enregistrement de son entretien d'embauche, qu'il avait entrepris de transcrire sur les grandes feuilles à carreaux.

Sa voix, à lui, disait qu'elle devrait s'insérer dans une chaîne d'actions qui commençait entre la fin d'une vie et le début de sa conversion en données administratives.

Il en égrenait les étapes lentement. On meurt ; le médecin remplit un certificat de décès qui comporte deux parties. La première est destinée à la mairie de la commune où l'on est mort, pour qu'elle puisse délivrer le permis d'inhumer – on y trouve les éléments d'identité, le domicile, la date et l'heure du décès et des informations sur les opérations funéraires. La seconde est anonyme – on y trouve les informations de localisation et des renseignements médicaux.

On doit y repérer la cause du décès, et par décès, il faut entendre autre chose que la mort toute simple et toute placidement constatée, il faut entendre: ce qui a conduit à l'état de mort. Le médecin reconstitue ce processus depuis sa cause initiale – on se meurt – jusqu'à sa cause finale – on est mort ; on est décédé ; on ferme son dossier à l'état civil. Entre les deux, il y a bien des choses encore, la mort, même brutale, même rapide, étant cet enchaînement de causes. Le médecin les passe au ralenti, puis les rentre dans le Certificat de Décès qui atterrit dans l'Informatique pour alimenter la Statistique.

Sa place à elle serait entre le Certificat de Décès et la Statistique. Elle devrait isoler, et parfois corriger, la cause de décès notée par le médecin, et, en fonction de ce qu'elle aurait identifié, lui appliquer un code préconstruit qu'elle entrerait dans la base de données.

Elle serait ainsi l'opérateur par qui l'événement individuel et banal rejoindrait la masse: chaque cause de mort simple ou complexe, en tout cas circonstancielle, viendrait grâce à elle s'insérer dans les grands ensembles statistiques qui lui conféreraient, à défaut d'un sens, une utilité. Donc sans elle, pas de Statistique, si importante pour hiérarchiser les problèmes de santé, orienter la Politique de Prévention – nourrir la Recherche Scientifique – et alerter les Pouvoirs Publics pour prévenir les Épidémies. Sans elle, pas de raison au décès anonyme ; donc pas de profit à la mort.

Il n'avait pas noté ses propres paroles, qu'il pouvait encore réciter par cœur. Au moment où elle était apparue dans l'enregistrement, il avait redoublé d'attention. Sa voix lui était agréable. « C'est étrange, ce boulot. » Il avait souligné l'adjectif étrange et fait partir, depuis ce mot, une flèche menant vers une bulle dans laquelle il avait inscrit: « début du processus ». Un instant, il avait posé le stylo, s'était passé la main sur les yeux et l'avait repris pour souligner deux fois le mot début.

« Oui. C'est ce qui fait son intérêt. Certaines informations, dans les certificats, sont fautives ou incomplètes, et d'autres, carrément manquantes. Ces dernières, il faut les reconstituer, et corriger les autres au mieux pour ne pas fausser la Statistique.

– Mais le processeur, il ne crache pas l'analyse tout seul?

– Oui, pour les cas faciles. On est en train d'en automatiser la transmission. Ça permet d'éviter les confusions dues aux différences entre codeurs, et d'harmoniser la chose au niveau européen. »

Il avait alors interrompu la lecture de l'enregistrement. Après « tout seul », il avait ri, fallait- il transcrire son propre rire? Il avait choisi de mettre une étoile à côté du mot « seul » et un renvoi, « rires ». Ici, il n'avait plus su s'il devait parler à la première personne, ce qui l'avait contrarié.

Il s'était levé pour se servir un verre – il cachait la bouteille dans le deuxième tiroir de son bureau, le verre trônait pour sa part sur son appuie-main, à côté du Perrier qui lui servait d'alibi. Après avoir bu, il s'était essuyé la bouche du revers de la main, et avait repris le manuscrit sur lequel il avait inscrit « Rires de F. B. ».

« Mais il reste ce qu'on appelle les cas complexes. Eux nous intéressent particulièrement car ils permettent de détecter des épidémies naissantes, de nouvelles maladies. Ce sont de minuscules indices, cachés dans la série. C'est là que, plus particulièrement, votre expertise intervient.

– L'indice, c'est donc que la cause de décès enregistrée à l'état civil doit me paraître suspecte?

– Pas concordante.

– Pas concordante avec quoi?

– À votre avis?

– Intuitivement, je dirais avec le récit de la mort quand on l'a, avec l'âge de la personne décédée, avec les rapports d'autopsie quand il y en a, avec l'époque et les maladies répertoriées à ce moment-là, etc.?

– Voilà. Etc. Tout est dans le etc., il va falloir le préciser. Comme ça on aura une cartographie non seulement des épidémies récentes, mais, en la comparant avec l'histoire des naissances des maladies, on pourra modéliser plus finement leur apparition. Et donc être utiles sur les questions de prévention. Personne ne veut revivre le Sida. Là, on essaie. Toujours partante?

– Absolument. Plus que jamais. »

Son arrivée, une semaine plus tard, avait coïncidé avec un retour de congé maternité pour lequel l'équipe avait organisé une fête. Cette femme serait la seule personne avec laquelle Eva Silber nouerait un lien.

Il les avait rejoints par obligation car il lui fallait tenir son rang de chef et aussi, et surtout, par curiosité ; ces rituels sociaux qu'il avait en horreur lui offraient un poste d'observation. Il circulait entre les gens, sortait quelques minutes noter certains détails. Même, il pouvait à son aise prendre des photos autorisées par le caractère faussement informel de la chose, et qui rejoindraient ses dossiers.

Elle ne l'avait pas déçu, mutique et posée sur un tabouret dans un coin quand les autres, attroupés autour des photos du nouveau-né, félicitaient la collègue. Après avoir fait le tour de la salle, la jeune mère avait parlé à Eva Silber qui, comme éveillée par sa bienveillance, lui avait répondu. Dans un accès de sentiment, il avait sur-le-champ décidé de les mettre dans le même bureau, en dépit de toute logique.

Expert-codeuse, Eva Silber aurait dû partager le bureau de son coordinateur, également responsable du centre collaborateur de l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé. Il l'avait pourtant séparée de Toufik Dekkiche pour la rapprocher de Marie-Claude Chevalier, technicienne subalterne. C'était une sorte de déclassement.

Depuis, elles avaient toujours travaillé face à face, dans la pièce à l'angle du bâtiment donnant sur le jardin ; il avait pensé qu'être près des fenêtres, devant la verdure, aurait fait du bien à ces deux femmes épuisées, l'une par son bébé qui la réveillait la nuit, l'autre par on ne savait quoi, et la prise en considération de sa bonté l'avait revigoré. L'évocation de ce geste désintéressé l'emplissait d'un amour de soi qui embuait ses yeux. Il s'était même cru, un temps, féministe parce qu'il avait changé le statut d'une femme par solidarité de genre. Une fois cette satisfaction résorbée, sa raison avait repris le dessus et il avait dû admettre qu'il s'agissait du contraire. Il l'avait déclassée précisément parce qu'il aimait la savoir dans un enclos féminin de douceur et de verdure. Néanmoins, il n'avait jamais cessé de considérer cet attelage des deux bureaux comme une bonne action dont le bénéfice ne cesserait de l'irradier d'une chaleur molle. Il lui suffisait pour cela de se les représenter toutes deux au calme, devant le petit jardin.

Assis dans la pénombre, il alluma la petite lampe.

Maintenant qu'il la savait partie pour toujours, il avait une décision à prendre. De la poche de sa veste, il sortit le carnet où il notait, pendant la journée, l'évaluation des salariés dont il avait la responsabilité. Les pages consacrées à Eva Silber étaient les plus complètes. Au début, elle avait semblé accorder une importance essentielle à leur mission, ce qu'il avait noté dans la colonne des « plus ». Dans les mois suivants, celle des « moins » s'était étoffée jusqu'à déborder.

Une ligne attira son attention, « nommer les morts », souligné deux fois.

Il chercha les enregistrements de leurs points hebdomadaires, en quête d'un souvenir précis. Il reconnut le début de la conversation, la voix gaie d'Eva Silber, le bruit de leurs corps, qui penché sur le bureau, qui bougeant sur la chaise, les papiers qu'on froisse. Il écoutait, sa voix à lui était blanche. Elle trahissait la colère froide qui l'avait saisi, un mélange de déception et de crainte: « Vous leur donnez des noms? Mais c'est très grave, cela. Ce n'est pas votre boulot. Vous ne devez pas donner des noms aux morts, vous m'entendez? Vous en faites quoi, de ces noms? Vous dealez avec des chiffres et des statistiques, les données sont anonymes, ce n'est pas pour rien, vous allez me promettre d'arrêter vos conneries une bonne fois pour toutes. Vous allez vous contenter de faire le job comme on vous dit de le faire. Est-ce suffisamment clair? »

Il posa les deux mains sur les écouteurs, guettant un signe de respiration, un mouvement, une inscription du malaise dans l'espace. Le silence était mat, il n'entendit que sa respiration, attentif à sa propre écoute, à la colère qui le prenait à nouveau, à la crainte que Valérie ne l'interrompe.

Il reprit la lecture: le bruit de la chaise sur le sol, la porte qui se ferme. Eva Silber n'avait rien dit. Il arrêta l'enregistrement et en porta la date sur la feuille à petits carreaux, entre crochets. C'était le moment où il avait commencé à la prendre en pitié et donc, à la haïr.

On se plaignait d'elle.

On devait pour cela monter le voir. Le bureau de son prédécesseur était au même étage que ceux des autres, et lorsqu'il avait pris ses fonctions, il avait exigé d'aller au-dessus pour les contraindre à cet effort.

On évoquait, en vrac et contre toute logique humaine comme juridique, son isolement, sa mauvaise humeur, son amaigrissement spectaculaire, la mauvaise habitude de fumer au bureau et vraisemblablement un « penchant pour la bouteille ».

Ces gens défilaient dans son bureau armés d'une sorte de servilité qu'il n'avait connue qu'à l'école. Elle obéissait à la règle informulée stipulant qu'on devait, toujours, et avec férocité, taper sur le plus faible pour ne pas paraître faible soi-même. Rien de tout cela ne l'avait surpris ; au fond, seule la dégradation de l'état d'Eva Silber l'intéressait, il devait le reconnaître. Elle n'aurait jamais eu l'idée de venir le voir pour lui parler d'un de ses collègues, non par grandeur d'âme, solidarité de classe ou même calcul. Les autres, pour elle, n'existaient pas ; elle était absorbée dans une entreprise de destruction systématique de sa personne qui excluait le monde alentour.

Quatre jours après sa disparition, il s'était rendu en bas de son immeuble. Il était resté longtemps immobile, face à la porte cochère ; elle n'était pas apparue. Il avait aussitôt regretté son inertie des premiers jours. Il était revenu le lendemain, le surlendemain et le jour d'après. Jamais elle n'était venue. Même, le cinquième jour, il s'était rendu dans le nord de Paris, en bas de chez l'homme qu'elle fréquentait et jusque chez qui, un soir, il l'avait suivie.

Il craignait alors que cette pute, cette petite misère stupide, ne se fût suicidée en laissant une lettre qui l'aurait accusé. Il avait souhaité mettre à profit les quelques jours restant avant le déchaînement administratif à venir (procédure de licenciement, signalement aux personnes disparues, enquête) pour tenter d'y voir clair, et peut-être la retrouver.

Il disposait d'une carte de l'Île-de-France sur laquelle il avait entouré les adresses de ses collègues (« mon équipe »). Il avait collé sur son bord une fine bande de papier portant des commentaires écrits à la main, au crayon pour pouvoir les modifier au gré des changements. Ils étaient tous datés et énuméraient dans l'ordre le prix du mètre carré, la taille probable de l'appartement, la présence ou l'absence de conjoint, d'enfants et d'animaux.

(Continues…)



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