Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 2/4 (Illustrated)
Jusqu’ici les vainqueurs ont attiré exclusivement notre attention; les vaincus vont avoir leur tour. Indiquer les circonstances qui facilitèrent aux musulmans la conquête de l’Espagne; résumer dans ses traits principaux l’histoire de cette conquête; exposer la situation que les vainqueurs firent à la population chrétienne et l’influence qu’exerça leur domination sur le sort d’une classe aussi infortunée que nombreuse, celle des esclaves et des serfs; raconter en détail la longue et opiniâtre résistance que toutes les classes de la société, que les chrétiens et les renégats, les citadins et les montagnards, les riches propriétaires et les esclaves affranchis, que des moines saintement fanatiques et même des femmes courageuses et inspirées opposèrent aux conquérants alors qu’une génération plus forte eut succédé à la génération énervée du commencement du VIIIe siècle—tel sera le sujet de cette partie de notre travail.

Au moment où la Péninsule attira sur elle les cupides regards des musulmans, elle était bien faible, bien facile à conquérir, car la société y était dans une situation déplorable.
Le mal datait de loin. Province romaine, l’Espagne, sous les derniers Césars, offre le même douloureux spectacle que les autres parties de l’empire. «De tout ce qu’elle possédait autrefois, il ne lui reste que son nom,» dit un auteur du Ve siècle[1]. D’une part on voit un petit nombre de riches qui possèdent des domaines immenses, des latifundia; de l’autre, une multitude de bourgeois ruinés, de serfs, d’esclaves. Les riches, les privilégiés, les clarissimes, tous ceux enfin qui avaient occupé les principales magistratures de l’empire, ou reçu du prince seulement le titre honoraire de ces magistratures, étaient exempts des charges qui pesaient sur la classe moyenne. Ils vivaient, au sein de la mollesse et d’un luxe effréné, dans de superbes villas, aux bords d’un beau fleuve, au pied d’une colline riante plantée de vignes et d’oliviers. Là ils partageaient leur journée entre le jeu, les bains, la lecture, l’équitation et les repas. Là, dans des salles dont les murailles étaient couvertes de tapisseries peintes ou brodées d’Assyrie et de Perse, des esclaves encombraient la table, à l’heure du dîner, des mets les plus exquis, des vins les plus savoureux, tandis que les convives, étendus sur des lits drapés en pourpre, improvisaient des vers, prêtaient l’oreille à des chœurs de musiciens, ou regardaient des danseurs[2].
La vue de cette opulence ne pouvait servir qu’à contrister la misère du grand nombre par un contraste affligeant. La plèbe des villes, la populace qui faisait des émeutes, n’était pas trop à plaindre, il est vrai; on la craignait, on la ménageait, on la nourrissait avec des distributions gratuites aux dépens des autres citoyens, on l’avilissait par des spectacles grossiers et barbares; mais la classe moyenne, celle des curiales, des petits propriétaires qui habitaient les villes et qui étaient chargés de l’administration des affaires municipales, avait été réduite, par la fiscalité romaine, à la plus profonde détresse. Le régime municipal, destiné à servir de sauvegarde contre la tyrannie, était devenu à la fois l’instrument et la victime de toutes les oppressions. Constantin avait tari la source principale du revenu des villes, des municipes, en s’emparant de leurs propriétés au moment même où les dépenses municipales augmentaient, avec les progrès de la misère publique; et pourtant les membres de la curie, c’est-à-dire tous les citoyens d’une ville possédant une propriété foncière de plus de vingt-cinq arpents et n’appartenant pas à la classe des privilégiés, devaient suppléer de leurs deniers à l’insolvabilité des contribuables. Les curiales ne pouvaient briser cette solidarité, qui était originaire et héréditaire;
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Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 2/4 (Illustrated)
Jusqu’ici les vainqueurs ont attiré exclusivement notre attention; les vaincus vont avoir leur tour. Indiquer les circonstances qui facilitèrent aux musulmans la conquête de l’Espagne; résumer dans ses traits principaux l’histoire de cette conquête; exposer la situation que les vainqueurs firent à la population chrétienne et l’influence qu’exerça leur domination sur le sort d’une classe aussi infortunée que nombreuse, celle des esclaves et des serfs; raconter en détail la longue et opiniâtre résistance que toutes les classes de la société, que les chrétiens et les renégats, les citadins et les montagnards, les riches propriétaires et les esclaves affranchis, que des moines saintement fanatiques et même des femmes courageuses et inspirées opposèrent aux conquérants alors qu’une génération plus forte eut succédé à la génération énervée du commencement du VIIIe siècle—tel sera le sujet de cette partie de notre travail.

Au moment où la Péninsule attira sur elle les cupides regards des musulmans, elle était bien faible, bien facile à conquérir, car la société y était dans une situation déplorable.
Le mal datait de loin. Province romaine, l’Espagne, sous les derniers Césars, offre le même douloureux spectacle que les autres parties de l’empire. «De tout ce qu’elle possédait autrefois, il ne lui reste que son nom,» dit un auteur du Ve siècle[1]. D’une part on voit un petit nombre de riches qui possèdent des domaines immenses, des latifundia; de l’autre, une multitude de bourgeois ruinés, de serfs, d’esclaves. Les riches, les privilégiés, les clarissimes, tous ceux enfin qui avaient occupé les principales magistratures de l’empire, ou reçu du prince seulement le titre honoraire de ces magistratures, étaient exempts des charges qui pesaient sur la classe moyenne. Ils vivaient, au sein de la mollesse et d’un luxe effréné, dans de superbes villas, aux bords d’un beau fleuve, au pied d’une colline riante plantée de vignes et d’oliviers. Là ils partageaient leur journée entre le jeu, les bains, la lecture, l’équitation et les repas. Là, dans des salles dont les murailles étaient couvertes de tapisseries peintes ou brodées d’Assyrie et de Perse, des esclaves encombraient la table, à l’heure du dîner, des mets les plus exquis, des vins les plus savoureux, tandis que les convives, étendus sur des lits drapés en pourpre, improvisaient des vers, prêtaient l’oreille à des chœurs de musiciens, ou regardaient des danseurs[2].
La vue de cette opulence ne pouvait servir qu’à contrister la misère du grand nombre par un contraste affligeant. La plèbe des villes, la populace qui faisait des émeutes, n’était pas trop à plaindre, il est vrai; on la craignait, on la ménageait, on la nourrissait avec des distributions gratuites aux dépens des autres citoyens, on l’avilissait par des spectacles grossiers et barbares; mais la classe moyenne, celle des curiales, des petits propriétaires qui habitaient les villes et qui étaient chargés de l’administration des affaires municipales, avait été réduite, par la fiscalité romaine, à la plus profonde détresse. Le régime municipal, destiné à servir de sauvegarde contre la tyrannie, était devenu à la fois l’instrument et la victime de toutes les oppressions. Constantin avait tari la source principale du revenu des villes, des municipes, en s’emparant de leurs propriétés au moment même où les dépenses municipales augmentaient, avec les progrès de la misère publique; et pourtant les membres de la curie, c’est-à-dire tous les citoyens d’une ville possédant une propriété foncière de plus de vingt-cinq arpents et n’appartenant pas à la classe des privilégiés, devaient suppléer de leurs deniers à l’insolvabilité des contribuables. Les curiales ne pouvaient briser cette solidarité, qui était originaire et héréditaire;
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by Reinhart Pieter Anne Dozy
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Jusqu’ici les vainqueurs ont attiré exclusivement notre attention; les vaincus vont avoir leur tour. Indiquer les circonstances qui facilitèrent aux musulmans la conquête de l’Espagne; résumer dans ses traits principaux l’histoire de cette conquête; exposer la situation que les vainqueurs firent à la population chrétienne et l’influence qu’exerça leur domination sur le sort d’une classe aussi infortunée que nombreuse, celle des esclaves et des serfs; raconter en détail la longue et opiniâtre résistance que toutes les classes de la société, que les chrétiens et les renégats, les citadins et les montagnards, les riches propriétaires et les esclaves affranchis, que des moines saintement fanatiques et même des femmes courageuses et inspirées opposèrent aux conquérants alors qu’une génération plus forte eut succédé à la génération énervée du commencement du VIIIe siècle—tel sera le sujet de cette partie de notre travail.

Au moment où la Péninsule attira sur elle les cupides regards des musulmans, elle était bien faible, bien facile à conquérir, car la société y était dans une situation déplorable.
Le mal datait de loin. Province romaine, l’Espagne, sous les derniers Césars, offre le même douloureux spectacle que les autres parties de l’empire. «De tout ce qu’elle possédait autrefois, il ne lui reste que son nom,» dit un auteur du Ve siècle[1]. D’une part on voit un petit nombre de riches qui possèdent des domaines immenses, des latifundia; de l’autre, une multitude de bourgeois ruinés, de serfs, d’esclaves. Les riches, les privilégiés, les clarissimes, tous ceux enfin qui avaient occupé les principales magistratures de l’empire, ou reçu du prince seulement le titre honoraire de ces magistratures, étaient exempts des charges qui pesaient sur la classe moyenne. Ils vivaient, au sein de la mollesse et d’un luxe effréné, dans de superbes villas, aux bords d’un beau fleuve, au pied d’une colline riante plantée de vignes et d’oliviers. Là ils partageaient leur journée entre le jeu, les bains, la lecture, l’équitation et les repas. Là, dans des salles dont les murailles étaient couvertes de tapisseries peintes ou brodées d’Assyrie et de Perse, des esclaves encombraient la table, à l’heure du dîner, des mets les plus exquis, des vins les plus savoureux, tandis que les convives, étendus sur des lits drapés en pourpre, improvisaient des vers, prêtaient l’oreille à des chœurs de musiciens, ou regardaient des danseurs[2].
La vue de cette opulence ne pouvait servir qu’à contrister la misère du grand nombre par un contraste affligeant. La plèbe des villes, la populace qui faisait des émeutes, n’était pas trop à plaindre, il est vrai; on la craignait, on la ménageait, on la nourrissait avec des distributions gratuites aux dépens des autres citoyens, on l’avilissait par des spectacles grossiers et barbares; mais la classe moyenne, celle des curiales, des petits propriétaires qui habitaient les villes et qui étaient chargés de l’administration des affaires municipales, avait été réduite, par la fiscalité romaine, à la plus profonde détresse. Le régime municipal, destiné à servir de sauvegarde contre la tyrannie, était devenu à la fois l’instrument et la victime de toutes les oppressions. Constantin avait tari la source principale du revenu des villes, des municipes, en s’emparant de leurs propriétés au moment même où les dépenses municipales augmentaient, avec les progrès de la misère publique; et pourtant les membres de la curie, c’est-à-dire tous les citoyens d’une ville possédant une propriété foncière de plus de vingt-cinq arpents et n’appartenant pas à la classe des privilégiés, devaient suppléer de leurs deniers à l’insolvabilité des contribuables. Les curiales ne pouvaient briser cette solidarité, qui était originaire et héréditaire;

Product Details

BN ID: 2940148787471
Publisher: Lost Leaf Publications
Publication date: 10/25/2013
Sold by: Barnes & Noble
Format: eBook
File size: 1 MB
Language: French
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