Histoire de la Monarchie de Juillet (Volume 7 / 7) (Illustrated)
La discussion de l'adresse, au début de la session de 1847, avait été, pour le ministère, l'occasion d'un éclatant succès. Non seulement il était sorti pleinement vainqueur du débat sur les mariages espagnols, mais un amendement blâmant sa politique intérieure avait été repoussé par 243 voix contre 130, et l'ensemble de l'adresse adopté par 248 voix contre 84. Depuis 1830, aucun ministère ne s'était vu à la tête d'une majorité aussi forte. M. Guizot, qui, pendant tant d'années et à travers tant de vicissitudes, avait travaillé à constituer cette majorité, se flattait d'avoir enfin atteint son but. Au lendemain même de l'adresse, il écrivait à l'un de ses ambassadeurs: «Le parti conservateur existe réellement dans les Chambres, dans les collèges électoraux, dans le pays. Il repose sur des intérêts puissants, sur les intérêts des positions faites dans notre société actuelle et qui n'aspirent qu'à se consolider; sur des convictions réfléchies, car ces intérêts ont compris que notre politique seule peut les consolider; sur des passions vives et publiques, suscitées par les luttes que cette politique soutient depuis seize ans. Le parti conservateur est donc et devient chaque jour davantage un parti d'action et de gouvernement qui fait ses propres affaires et soutient sa propre politique, attaché à cette politique par amour-propre comme par intérêt[1].»

À peine M. Guizot avait-il eu le temps de se féliciter de ces résultats qu'un incident se produisait, bien de nature à faire douter de l'existence ou tout au moins de la solidité de sa majorité. Le 22 mars 1847, la Chambre avait à élire un vice-président: il s'agissait de remplacer M. Hébert qui venait d'être appelé aux fonctions de garde des sceaux, vacantes par la mort de M. Martin du Nord. Le candidat du ministère était M. Duprat. Après deux tours de scrutin dans lesquels une partie des voix conservatrices se détournèrent sur M. de Belleyme, M. Léon de Malleville, candidat de l'opposition, l'emporta par 179 voix contre 178. Adversaire acharné du cabinet, il s'était fait, à la tribune, une sorte de spécialité des accusations de corruption; plusieurs fois déjà, il avait eu à ce propos des prises avec M. Duchâtel; naguère, dans la discussion de l'adresse, il avait été l'un des trois signataires de l'amendement sur la politique intérieure, amendement repoussé à une forte majorité.

Cette nomination inattendue souleva un cri de triomphe dans la gauche, tandis que les partisans du cabinet étaient dans une sorte de stupeur. Le dépit des amis personnels de M. de Belleyme était pour quelque chose dans ce soudain revirement; il ne suffisait pas à l'expliquer. Dans la majorité conservatrice, issue des élections de 1846, la proportion des députés nouveaux était beaucoup plus grande que de coutume; plusieurs, parmi eux, jeunes, ambitieux, n'avaient nul goût à venir prendre rang à la queue des anciens, comme des conscrits incorporés dans une armée déjà organisée; loin de se faire solidaires de tous les partis pris, de tous les ressentiments, de toutes les responsabilités de l'ancienne politique conservatrice, ils rêvaient de la modifier, de lui imprimer leur marque, de lui donner quelque chose de plus entreprenant, de plus novateur. Ils s'appelaient eux-mêmes des «conservateurs progressistes». L'un d'eux, le marquis de Castellane, avait annoncé, dès la discussion de l'adresse, l'entrée en scène de «la fraction plus jeune du parti conservateur», qui, disait-il, «apportait la fidélité des anciens combattants, sans la passion des anciennes luttes», et il la montrait, se faisant un «devoir» de réclamer des «réformes». Ce que seraient ces réformes, les «progressistes» ne le savaient pas bien encore; pour le moment, ils voulaient surtout faire comprendre au gouvernement la nécessité de compter avec eux. Une élection de vice-président, qui n'engageait qu'une question de personne, leur avait paru une occasion favorable pour donner un avertissement de ce genre. Aussi bien l'entrée dans le cabinet de M. Hébert, qui, comme député et procureur général,
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Histoire de la Monarchie de Juillet (Volume 7 / 7) (Illustrated)
La discussion de l'adresse, au début de la session de 1847, avait été, pour le ministère, l'occasion d'un éclatant succès. Non seulement il était sorti pleinement vainqueur du débat sur les mariages espagnols, mais un amendement blâmant sa politique intérieure avait été repoussé par 243 voix contre 130, et l'ensemble de l'adresse adopté par 248 voix contre 84. Depuis 1830, aucun ministère ne s'était vu à la tête d'une majorité aussi forte. M. Guizot, qui, pendant tant d'années et à travers tant de vicissitudes, avait travaillé à constituer cette majorité, se flattait d'avoir enfin atteint son but. Au lendemain même de l'adresse, il écrivait à l'un de ses ambassadeurs: «Le parti conservateur existe réellement dans les Chambres, dans les collèges électoraux, dans le pays. Il repose sur des intérêts puissants, sur les intérêts des positions faites dans notre société actuelle et qui n'aspirent qu'à se consolider; sur des convictions réfléchies, car ces intérêts ont compris que notre politique seule peut les consolider; sur des passions vives et publiques, suscitées par les luttes que cette politique soutient depuis seize ans. Le parti conservateur est donc et devient chaque jour davantage un parti d'action et de gouvernement qui fait ses propres affaires et soutient sa propre politique, attaché à cette politique par amour-propre comme par intérêt[1].»

À peine M. Guizot avait-il eu le temps de se féliciter de ces résultats qu'un incident se produisait, bien de nature à faire douter de l'existence ou tout au moins de la solidité de sa majorité. Le 22 mars 1847, la Chambre avait à élire un vice-président: il s'agissait de remplacer M. Hébert qui venait d'être appelé aux fonctions de garde des sceaux, vacantes par la mort de M. Martin du Nord. Le candidat du ministère était M. Duprat. Après deux tours de scrutin dans lesquels une partie des voix conservatrices se détournèrent sur M. de Belleyme, M. Léon de Malleville, candidat de l'opposition, l'emporta par 179 voix contre 178. Adversaire acharné du cabinet, il s'était fait, à la tribune, une sorte de spécialité des accusations de corruption; plusieurs fois déjà, il avait eu à ce propos des prises avec M. Duchâtel; naguère, dans la discussion de l'adresse, il avait été l'un des trois signataires de l'amendement sur la politique intérieure, amendement repoussé à une forte majorité.

Cette nomination inattendue souleva un cri de triomphe dans la gauche, tandis que les partisans du cabinet étaient dans une sorte de stupeur. Le dépit des amis personnels de M. de Belleyme était pour quelque chose dans ce soudain revirement; il ne suffisait pas à l'expliquer. Dans la majorité conservatrice, issue des élections de 1846, la proportion des députés nouveaux était beaucoup plus grande que de coutume; plusieurs, parmi eux, jeunes, ambitieux, n'avaient nul goût à venir prendre rang à la queue des anciens, comme des conscrits incorporés dans une armée déjà organisée; loin de se faire solidaires de tous les partis pris, de tous les ressentiments, de toutes les responsabilités de l'ancienne politique conservatrice, ils rêvaient de la modifier, de lui imprimer leur marque, de lui donner quelque chose de plus entreprenant, de plus novateur. Ils s'appelaient eux-mêmes des «conservateurs progressistes». L'un d'eux, le marquis de Castellane, avait annoncé, dès la discussion de l'adresse, l'entrée en scène de «la fraction plus jeune du parti conservateur», qui, disait-il, «apportait la fidélité des anciens combattants, sans la passion des anciennes luttes», et il la montrait, se faisant un «devoir» de réclamer des «réformes». Ce que seraient ces réformes, les «progressistes» ne le savaient pas bien encore; pour le moment, ils voulaient surtout faire comprendre au gouvernement la nécessité de compter avec eux. Une élection de vice-président, qui n'engageait qu'une question de personne, leur avait paru une occasion favorable pour donner un avertissement de ce genre. Aussi bien l'entrée dans le cabinet de M. Hébert, qui, comme député et procureur général,
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La discussion de l'adresse, au début de la session de 1847, avait été, pour le ministère, l'occasion d'un éclatant succès. Non seulement il était sorti pleinement vainqueur du débat sur les mariages espagnols, mais un amendement blâmant sa politique intérieure avait été repoussé par 243 voix contre 130, et l'ensemble de l'adresse adopté par 248 voix contre 84. Depuis 1830, aucun ministère ne s'était vu à la tête d'une majorité aussi forte. M. Guizot, qui, pendant tant d'années et à travers tant de vicissitudes, avait travaillé à constituer cette majorité, se flattait d'avoir enfin atteint son but. Au lendemain même de l'adresse, il écrivait à l'un de ses ambassadeurs: «Le parti conservateur existe réellement dans les Chambres, dans les collèges électoraux, dans le pays. Il repose sur des intérêts puissants, sur les intérêts des positions faites dans notre société actuelle et qui n'aspirent qu'à se consolider; sur des convictions réfléchies, car ces intérêts ont compris que notre politique seule peut les consolider; sur des passions vives et publiques, suscitées par les luttes que cette politique soutient depuis seize ans. Le parti conservateur est donc et devient chaque jour davantage un parti d'action et de gouvernement qui fait ses propres affaires et soutient sa propre politique, attaché à cette politique par amour-propre comme par intérêt[1].»

À peine M. Guizot avait-il eu le temps de se féliciter de ces résultats qu'un incident se produisait, bien de nature à faire douter de l'existence ou tout au moins de la solidité de sa majorité. Le 22 mars 1847, la Chambre avait à élire un vice-président: il s'agissait de remplacer M. Hébert qui venait d'être appelé aux fonctions de garde des sceaux, vacantes par la mort de M. Martin du Nord. Le candidat du ministère était M. Duprat. Après deux tours de scrutin dans lesquels une partie des voix conservatrices se détournèrent sur M. de Belleyme, M. Léon de Malleville, candidat de l'opposition, l'emporta par 179 voix contre 178. Adversaire acharné du cabinet, il s'était fait, à la tribune, une sorte de spécialité des accusations de corruption; plusieurs fois déjà, il avait eu à ce propos des prises avec M. Duchâtel; naguère, dans la discussion de l'adresse, il avait été l'un des trois signataires de l'amendement sur la politique intérieure, amendement repoussé à une forte majorité.

Cette nomination inattendue souleva un cri de triomphe dans la gauche, tandis que les partisans du cabinet étaient dans une sorte de stupeur. Le dépit des amis personnels de M. de Belleyme était pour quelque chose dans ce soudain revirement; il ne suffisait pas à l'expliquer. Dans la majorité conservatrice, issue des élections de 1846, la proportion des députés nouveaux était beaucoup plus grande que de coutume; plusieurs, parmi eux, jeunes, ambitieux, n'avaient nul goût à venir prendre rang à la queue des anciens, comme des conscrits incorporés dans une armée déjà organisée; loin de se faire solidaires de tous les partis pris, de tous les ressentiments, de toutes les responsabilités de l'ancienne politique conservatrice, ils rêvaient de la modifier, de lui imprimer leur marque, de lui donner quelque chose de plus entreprenant, de plus novateur. Ils s'appelaient eux-mêmes des «conservateurs progressistes». L'un d'eux, le marquis de Castellane, avait annoncé, dès la discussion de l'adresse, l'entrée en scène de «la fraction plus jeune du parti conservateur», qui, disait-il, «apportait la fidélité des anciens combattants, sans la passion des anciennes luttes», et il la montrait, se faisant un «devoir» de réclamer des «réformes». Ce que seraient ces réformes, les «progressistes» ne le savaient pas bien encore; pour le moment, ils voulaient surtout faire comprendre au gouvernement la nécessité de compter avec eux. Une élection de vice-président, qui n'engageait qu'une question de personne, leur avait paru une occasion favorable pour donner un avertissement de ce genre. Aussi bien l'entrée dans le cabinet de M. Hébert, qui, comme député et procureur général,

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BN ID: 2940148205449
Publisher: Lost Leaf Publications
Publication date: 01/21/2014
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Format: eBook
File size: 733 KB
Language: French
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